Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/70

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Mais on va dire que je suis bien maladroit de prendre les choses de la sorte.

Je parlerai souvent dans ma vie du christianisme, et comment n’en parlerais-je pas ? C’est la gloire du christianisme d’occuper encore la moitié de nos pensées et d’absorber l’attention de tous les penseurs, de ceux qui luttent, comme de ceux qui croient. J’ai longtemps réussi à penser et à écrire comme s’il n’y avait pas au monde de religions, ainsi que font tant de philosophes rationalistes, qui ont écrit des volumes sans dire un mot du christianisme. Mais cette abstraction m’est ensuite apparue comme si irrévérencieuse envers l’histoire, si partielle, si négative de tout ce qu’il y a de plus sublime dans la nature humaine, que, dussent les inquisiteurs et les philosophes s’en irriter, j’ai résolu de prendre l’esprit humain pour ce qu’il est, et de ne pas me priver de l’étude de sa plus belle moitié. Je trouve, moi, que les religions valent la peine qu’on en parle, et qu’il y a dans leur étude autant de philosophie que dans quelques chapitres de sèche et insipide philosophie morale.

Le jour n’est pas loin où, avec un peu de franchise de part et d’autre, et en levant les malentendus qui séparent les gens les mieux faits pour s’entendre, on reconnaîtra que le sens élevé des choses, la haute critique, le grand amour, l’art vraiment noble, le saint idéal de la morale ne sont possibles qu’à la condition de se poser dès le premier abord dans le divin, de déclarer tout ce qui est beau, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, également saint, également adorable ; de considérer tout ce qui est comme un seul ordre de choses, qui est la nature, comme la variété, l’efflorescence, la germination superficielle d’un fond identique et vivant.