Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/95

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à se désillusionner par la civilisation et le rationalisme. Notre symbole est de la sorte détruit ; car notre symbole, c’est la légitimité du progrès. Or, dans cette hypothèse, l’humanité serait engagée dans une impasse, sa ligne ne serait pas la ligne droite, marchant toujours à l’infini, puisqu’en poussant toujours devant elle, elle se trouverait avoir reculé. La loi qu’on devrait poser à la nature humaine ne serait plus alors de porter à l’absolu toutes ses puissances ; la civilisation aurait son maximum, atteint par un balancement de contraires, et la sagesse serait de l’y retenir. Il s’agit de savoir, en un mot, si la loi de l’humanité est une expression telle qu’en augmentant toutes les variables, on augmente la valeur totale, ou si elle doit être assimilée à ces expressions qui atteignent un maximum, au delà duquel une augmentation apportée aux éléments divers fait décroître la valeur totale.

Heureux ceux qui auront dans une expérience définitive une réponse expérimentale à opposer à ces terribles appréhensions. Peut-être nos affirmations à cet égard ont-elles un peu du mérite de la foi, qui croit sans avoir vu, et à vrai dire, quand on envisage les faits isolés, l’optimisme semble une générosité faite à Dieu en toute gratuité. Pour moi, je verrais l’humanité crouler sur ses fondements, je verrais les hommes s’égorger dans une nuit fatale, que je proclamerais encore que la nature humaine est droite et faite pour le parfait, que les malentendus se lèveront, et qu’un jour viendra le règne de la raison et du parfait. Alors on se souviendra de nous, et l’on dira: Oh  ! qu’ils durent souffrir !

Il faut se garder d’assimiler notre civilisation et notre rationalisme à la culture factice de l’antiquité et surtout de la Grèce dégénérée. Notre xviiie siècle est certes une