Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/180

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MONSIEUR RENAN,


1e mai 1848.

Que de soupirs, mon Ernest bien-aimé, après le moment qui m’apporte une lettre de toi ! quelle joie encore, au milieu de tant de douleurs, lorsque ta voix se fait entendre à ta vieille amie ! — Merci, mon bien bon, merci de tes soins à me donner de les nouvelles, à me dire les impressions dans cet épouvanteble moment. Tes deux dernières lettres me sont régulièrement arrivées, mais il parait que l’une des miennes à notre frère a été perdue. J’ai enfin reçu de ses nouvelles et de celles de notre mère. Tout ce qu’il me dit, surtout ce qu’il me laisse entendre, est bien triste ; cependant j’ai été comparativement heureuse en recevant de lui quelques lignes. Oh ! quel coup nous a tous frappés, mais lui surtout !… Cher et malheureux ami ! je ne dirai jamais ce que je souffre de sa peine. Dis-moi, mon Ernest, dis-moi, je t’en supplie, tout ce que tu sauras de ses affaires. Je n’ose lui demander de réponse, je n’ose en attendre, et cependant je suis sans cesse pour lui dans les plus cruelles anxiétés. Toute l’Europe est tellement bouleversée, que je ne puis même mettre à sa disposition une année de mes appointements, que j’ai presque intacte entre les mains du père de mes élèves : on ne trouve plus un banquier, un seul, qui veuille donner une lettre