Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/181

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de change sur Paris, tant il est certain qu’elle ne sera pas payée. Voilà où en est notre France !… J’offre à Alain d’employer la voie d’Angleterre, je lui propose de lui faire une remise sur Londres, s’il croit que ce moyen présente sécurité et puisse lui être utile. Malheureusement ce que je puis est si peu de chose ! — Il faut, mon Ernest, il faut que dans ma dernière lettre j’aie bien mal exprimé ma pensée, pour que tu aies pu croire que je séparais ma destinée de la tienne, afin de l’associer a des âmes indifférentes qui m’environnent. Non, non très cher ami, non : dans la phrase dont tu me parles, il ne s’agissait nullement de l’avenir ; il ne s’agissait même du présent que pour te rassurer relativement a ce qui se dit et se passé dans ce triste moment. Quand je t’ai écrit que je ne pouvais que partager le sort de cette famille, j’entendais qu’il ne pouvait m’arriver plus de mal qu’à eux ; que le comte ne laisserait pas ses enfants dans un danger manifeste, et que je ne puis pas en être séparée ; en un mot qu’ils ne m’abandonneront jamais à un péril qu’ils ne partageraient point. Voila, mon bon Ernest, la seule idée que j’ai voulu exprimer, que j’ai pu ressentir. Ah ! mon ami, en pareilles choses ce n’est pas sur mon bon sens que je te supplie de compter ; c’est surtout sur mon cœur, sur ce cœur si plein de toi, si rempli du besoin d’améliorer ton existence ! Que de fois, mon bon frère, avant ces événements cruels et subversifs, que de fois j’ai été sur le point de t’offrir notre réunion