Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/229

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tenir compte de ces maux particuliers, qui après tout n’atteignent que la minorité de la nation. Je dis d’abord que si cette minorité forme un chiffre aussi élevé que dans l’état actuel, la simple prudence économique suffirait pour commander les réformes. Mais je vais plus loin, et dussé-je en ceci te paraître un peu philosophe, c’est-à-dire théoricien exagéré, je soutiens qu’un état social qui consacrerait légalement une seule injustice nécessaire, qui pourrait amener des circonstances où un seul individu se trouvât privé de ses droits d’homme (c’est-à-dire de la possibilité de vivre et de développer dans une mesure suffisante), et cela sans qu’il y eût de sa faute, et sans qu’il y pût remédier, je soutiens, dis-je, qu’un tel état social devrait être changé, coûte que coûte. Je n’y mets qu’une condition ; c’est que le remède fût possible et n’entrainât pas la ruine totale de l’humanité.

Or ceci n’est jamais à craindre. S’il y a dans la politique des problèmes insolubles pour le penseur solitaire, il n’y en a pas pour l’humanité. Toutes les fois qu’elle aborde une difficulté, soyez certain qu’elle en viendra à bout. Elle pourra adopter passagèrement des solutions fausses, et par suite beaucoup souffrir. Mais ce n’est pas acheter trop cher la solution définitive, si cette solution rétablit un droit et redresse une injustice. La meilleure preuve que la question est soluble, c’est donc que l’humanité se l’est posée.

Quant au mode de solution, il est certain qu’on