Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/283

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amie ! Louis-Napoléon Bonaparte est président de la République française. Il est certes difficile d’être plus désintéressé que je ne le suis dans cette affaire. J’avais une antipathie naturelle pour Cavaignac, à tel point que je n’ai pas voulu le faire bénéficier de ma voix, et que j’ai préféré me donner le plaisir innocent de voter pour Lamartine. J’en suis presque fâché à la vue de ce qu’on nous prépare. Quel avenir, grand Dieu ! Cela va être pis que sous la Restauration. On donne pour certaine la nomination de M. de Falloux au ministère de l’Instruction Publique. Imagines-tu la portée d’un tel acte ? M. de Falloux, tu le sais, n’est qu’à une nuance de M. de Montalembert. Ce qu’il y aurait de plus désirable, ce serait qu’ils fussent assez imprudents pour frapper un grand coup ; alors nous leur ferions une croisade en règle. Mais ils s’en garderont ; ils nous mineront sourdement, ils nous épargneront des persécutions, qui seraient des titres à valoir à la prochaine révolution. Rien ne peut dépeindre la débâcle du parti Jeune Université (École Normale, Liberté de Penser, etc.). La plupart de ces jeunes gens avaient voulu faire les personnages publics, et s’étaient fort avancés en articles de journaux, brochures, discours de clubs, etc. Certes, je peux m’en laver complètement les mains ; car j’ai toujours trouvé cette misérable petite action de détail indigne de l’homme intellectuel. Le vrai penseur a sa mission bien plus haute. Il doit s’adresser aux idées, chercher a modifier le tour