Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/330

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d’ailleurs d’une si haute gravité que je ne peux tarder plus longtemps à t’en écrire.

Ces événements, ma bonne amie, me causent, je te l’avoue, de graves inquiétudes, d’autant plus graves que, comme tu nous l’as dit cent fois, et comme je le comprends à merveille, il nous est impossible d’en recevoir d’information exacte et de nous en faire une juste idée. Je me demande souvent s’il ne serait pas temps, et plus que temps, de partir chacun de notre côté, si nous ne voulons pas qu’une terrible tempête nous sépare. S’il s’agissait de ces guerres qui se prévoient et se déclarent ; à la bonne heure ; je dirais alors qu’il faudrait attendre le jour décisif. Mais en sera-t-il ainsi ? Je n’entre dans aucun détail, excellente amie, parce que sans doute tu les connais mieux que nous, et que d’ailleurs mademoiselle Ulliac m’écrit qu’elle a su que plusieurs lettres pour Varsovie ont été interceptées. Je ne sais où elle a pris cela, mais s’il en était ainsi, quelle position serait la nôtre ? Henriette, ma bonne amie, plus que jamais nous avons besoin de te dire : Au nom de Dieu, sois juge pour nous, vois pour nous ce que nous ne pouvons voir, et juge, non comme te l’inspirera ton dévouement, mais comme nous jugerions nous-mêmes. Songe que depuis le détroit de la Baltique jusqu’aux Dardanelles, depuis le Rhin jusqu’à la Vistule, il n’y a pas un pays qui ne soit en guerre ou sur le qui-vive. La position de l’Allemagne entre autres n’est-elle pas des plus propres à inspirer de sérieuses