Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/146

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renaissance de la superstition, qu’il avait crue enterrée par Voltaire et Rousseau, lui semblait, dans la génération nouvelle, le signe d’un complet abêtissement.

Un matin, on le trouva mort dans sa pauvre chambre, au milieu de ses livres empilés. C’était après 1830 ; le maire lui fit le soir des funérailles décentes. Le clergé acheta toute sa bibliothèque à vil prix et la fit détruire. On ne découvrit dans sa commode aucun papier qui pût aider à percer le mystère qui l’entourait. Seulement, dans un coin, on trouva soigneusement enveloppé un bouquet de fleurs desséchées, liées par un ruban tricolore. On crut d’abord à quelque souvenir d’amour, et plusieurs brodèrent sur ce canevas le roman de l’inconnu ; mais le ruban tricolore troublait une telle hypothèse. Ma mère ne croyait nullement que ce fût là l’explication véritable. Quoiqu’elle eût un respect instinctif pour Système, elle me disait toujours : « C’est un vieux terroriste. Je me figure par moments l’avoir vu en 1793. Et puis il a juste les allures et les idées de M…, qui terrorisa