Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/147

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Lannion et y tint la guillotine en permanence tant que dura Robespierre. »

Il y a quinze ou vingt ans, je lus, aux faits divers d’un journal, à peu près ce qui suit :

Hier, dans une rue écartée, au fond du faubourg Saint-Jacques, s’est éteint presque sans agonie un vieillard dont l’existence intriguait fort le voisinage. Il était respecté dans le quartier comme un modèle de bienfaisance et de bonté ; mais il évitait tout ce qui eût pu mettre sur la voie de son passé. Quelques livres, le catéchisme de Volney, des volumes dépareillés de Rousseau, étaient épars sur la table. Une malle composait tout son avoir. Le commissaire de police, appelé à l’ouvrir, n’y a trouvé que quelques pauvres effets, parmi lesquels un bouquet fané, enveloppé avec soin dans un papier sur lequel était écrit : Bouquet que je portai à la fête de l’être suprême, 20 prairial, an II.

Ce fut là pour moi un trait de lumière. Je ne doutai pas que le bouquet de Système ne se rattachât au même souvenir. Je me rappelai les rares adeptes de l’Église jacobine que j’avais pu connaître, leur ardente conviction, leur attachement sans borne aux souvenirs de 1793 et 1794, leur impuissance à parler d’autre chose. Ce rêve d’une année fut si