Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/163

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reux puisqu’il eut son heure d’illusion. Le bonheur, c’est le dévouement à un rêve ou à un devoir ; le sacrifice est le plus sûr moyen d’arriver au repos. Un des anciens bouddhas antérieurs à Sakya-Mouni atteignit le nirvana d’une étrange manière. Il vit un jour un faucon qui poursuivait un petit oiseau. « Je t’en prie, dit-il à la bête de proie, laisse cette jolie créature ; je te donnerai son poids de ma chair. » une petite balance descendit incontinent du ciel, et l’exécution du marché commença. L’oisillon s’installa commodément dans un des plateaux ; dans l’autre, le saint mit une large tranche de sa chair ; le fléau de la balance ne bougeait pas. Lambeau par lambeau, le corps y passa tout entier ; la balance ne remuait pas encore. Au moment où le dernier morceau du corps du saint homme fut mis dans le plateau, le fléau s’abaissa enfin, le petit oiseau s’envola, et le saint entra dans le nirvana. Le faucon, qui, après tout, avait fait une bonne affaire, se gorgea de sa chair.

Le petit oiseau représente les parcelles de beauté et d’innocence que notre triste pla-