Page:Renard - L’Écornifleur, Ollendorff, 1892.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

son œuf dur, qui, je crois bien, est rouge ? »

Je souhaitais de voir notre compartiment se vider à la première station, non pour être seul avec Madame Vernet, mais pour qu’elle pût enfin manger « à mon aise ».

Autre sotte terreur ! Nous étions dans un express. Les arrêts devaient être rares, et je me vis dans la situation d’un homme qui ne peut tenir en place, ne sait quelle posture prendre, regarde à la portière, rougit et pâlit, la figure gonflée, met d’une manière inconvenante ses mains dans ses poches, et frotte l’une contre l’autre ses jambes vêtues d’étoffe claire, désespérément. Je comprenais très bien que la crainte d’avoir à manger, d’avoir besoin en route, la peur d’un déraillement, l’ennui d’entrer sous un tunnel noir où tout l’être est pris de fièvre et tremble, seraient, ce jour-là, autant d’obstacles à la progression de mon amour.

— « Auriez-vous peur ? » me demanda Madame Vernet comme nous passions en grande vitesse sur un pont qui grinçait de jouissance dans tous ses fers.

Je lui dis :

— « Oh ! moi, j’ai le physique lâche ! »