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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 3, 1883.djvu/12

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le chemin de Joux ; au lieu de la déposer en lieu sûr, ou même de la confier à ma mère, je fis un trou dans un champ, au pied d’une aubépine, et je l’y enterrai. Je continuai ma route fort ému.

Vis-à-vis Laloge, je vis imprimée sur la terre encore molle l’empreinte d’un talon de femme… J’étais en fureur : ma fureur se calma. « Quel ange céleste, m’écriai-je, est descendu récemment dans ces lieux sauvages ?… » Je double le pas, je cours, je vole… Dans le vallon de la Fontaine, je vois devant moi une jeune fille faite comme les Nymphes et légère comme elles ; je l’atteins sous les noyers de mon père, à la jonction des trois vallées. Je la regarde, elle rougit, et me salue par mon nom de Monsieur Nicolas. « Qui donc êtes-vous, aimable voyageuse ? » lui dis-je. — « Je vous reconnais bien, moi, » répondit-elle ; « mais vous ne me reconnaissez pas ; j’étais trop jeune quand vous avez quitté le pays ; je suis Marie-Jeanne Lévêque, la fille de Laloge, et je vais à Sacy. » Je la reconnus alors. Dieu ! quelle aimable candeur ! quelle grâce, quelle timide modestie, quelle fraîcheur ! Elle n’avait guère que quinze ans, mais elle était grande, formée, elle était en blanc et d’une propreté recherchée, à la manière des jolies filles de Nitry. Je la trouvai charmante, mais je ne fus pas infidèle : je songeai à Jeannette, plus belle encore, plus délicate, plus nymphe que la jolie Marie-Jeanne… J’accompagnai l’aimable fille, en causant, jusqu’à un passage appelé la Brèche, par lequel on entre dans le village du côté de Laloge.