Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 3, 1883.djvu/13

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Pour moi, je prenais ordinairement par le haut des fossés pour gagner la Bretonne. En me quittant, Marie-Jeanne me dit qu’elle irait chez nous pour faire les compliments de son père au mien, et parce qu’elle avait une commission des gens de Courtenay pour notre maison. (Que ce mot gens, en parlant de MM. de Courtenay, ne surprenne pas : c’est l’usage du pays ; les enfants même y disent nos gens, en parlant de leur père et de leur mère, ainsi que de toute la famille.)

En avançant vers la maison paternelle, j’étais agréablement occupé de Marie-Jeanne : « Jamais je n’obtiendrai Jeannette, pensai-je ; « il faut renoncer à cette espérance ; je n’étudie plus. Devenons laboureur ; le père de Marie-Jeanne est riche ; mais il regardera comme un honneur de s’allier à mon père… Marie-Jeanne est aimable ; elle me consolera de Jeannette !… Il faut me fixer ici. J’y reverrai ces campagnes, où j’ai passé mon enfance ; j’y travaillerai comme mon père ; je serai tranquille, sans projets, sans ambition, sans peines d’esprit. » Je sentis une consolation intérieure. J’entrai gaiement dans la maison paternelle, presque fâché de ne pas avoir conservé la lettre de mes frères, qui sans doute eût déterminé mon père à me garder ; car elle était propre à l’indisposer autant et plus contre eux, que contre moi, puisqu’ils avaient eu l’audace d’y donner à entendre à mon père que les chagrins que je lui causais étaient l’ordinaire punition des remariages ! Il sembla qu’on