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Mais aussi l’ascendant d’Hoffmann sur sa prose était énorme. Heureusement, comme nous l’avons remarqué, la personnalité de Gautier était assez forte pour subsister entière tout en s’inspirant des autres. Encore une fois, nous le répétons, en le charme de la Vie d’artiste, des Maîtres chanteurs et de Don Juan ; quel autre qu’un peintre aurait pu concevoir et accomplir avec une aussi rare perfection Salvator Rosa et l’Eglise des Jésuites. Quel autre qu’un ivrogne et qu’un hypocondre, ces monstres informes, ces caricatures grotesques, ces masques à la manière de Callot ou des songes drolatiques de Rabelais, qu’il fait voir sur des fonds noirs et blancs. Aussi aucun des livres que j’ai lus ne m’a impressionné de tant de manières différentes. Après un volume d’Hoffmann, je suis comme si j’avais bu dix bouteilles de vin de Champagne ; il me semble qu’une roue de moulin a pris la place de ma cervelle et tourne entre les parois de mon crâne ; l’horizon danse devant mes yeux et il me faut prendre le temps de cuver ma lecture et parvenir à reprendre ma vie de tous les jours. C’est que l’imagination d’Hoffmann grisée elle-même est vagabonde comme les flocons de la blanche fumée emportés et dispersés parle vent, fougueuse et pétillante comme la mousse qui s’échappe du verre et que son stylo est un prisme magique et changeant où se réfléchit la création en tous sens, un arc-en-cicl, un reflet de toutes les couleurs de l’iris, une queue de paon où le soleil a réuni tous ses rayons. Ces contes étranges diffèrent tellement de tous les contes parus jusqu’ici, qu’on éprouve en les lisant la même impression qu’un homme lancé de Paris à Fosen au moyen d’une fronde éprouverait à l’aspect des toits vernissés, des murailles de porcelaine, des treilles rouges et jaunes de ses maisons, des enseignes des boutiques chargées de caractères bizarres et d’animaux fantastiques et de toute cette population qui nous apparaît si baroque sur les feuilles de nos paravents.