Page:Reval - La cruche cassee.djvu/16

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le petit clappement de bouche qui révèle l’impatience et le mécontentement de sa mère, et, se penchant vers sa petite sœur Suzanne, elle murmura très bas :

— Pauv’p’tit frère, tu seras encore « savonné » ce soir !

— C’est vrai, mais, maman est trop sévère !… Elle voudrait que Charles, qui a dix-sept ans, restât à ses trousses comme un toutou ! Tu sais, reprit l’enfant, il n’est pas du tout à la plaine Grand-Chien, il est allé à la maison forestière porter des muguets à Lisette, qui repasse la lessive de la Lisa Chassey.

— Pauv’p’tit frère ! murmure encore Aline.

Et la forêt retomba dans un silence nonchalant.

On était à la fin d’avril ; après un hiver tardif, en grande hâte, les feuilles avaient poussé ; aux pointes des arbres, on avait vu luire d’abord de petits éclats diamantés, puis au premier coup de soleil, le dôme de la forêt s’était embrasé de feux discrets, comme si le gel ayant brisé les vitraux d’une invisible cathédrale, en avait projeté les poussières lumineuses sur l’arc immobile des branches. Maintenant le toit léger des feuilles frissonnait.

Au pied des arbres s’élançaient les nouvelles frondaisons ; si proches encore de la terre, elles semblaient ne pouvoir s’en détourner ; l’arc souple des ronces tendrement traînait sur les mousses ; les folioles repliées des jeunes cytises se balançaient en grappes, comme un essaim de cigales fatiguées du premier vol. Ainsi, chaque année, les cimes majestueuses redressent au-dessus de la colline, comme un roc vivant, leur masse verte ; roc aux stries délicates, poreuses, buvant l’eau et le soleil qu’un prodigieux