Page:Reval - La cruche cassee.djvu/36

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On arrivait par les champs en haut du « gripot[1] » qui domine Gondreville. Le docteur s’arrêta et d’un geste d’admiration désignant tout le paysage :

— Comme elle est belle, n’est-ce pas, notre terre lorraine ?

La petite ville s’étendait au fond de la vallée ; les maisons descendaient le coteau, courant vers l’Ornain, les plus petites, comme des pèlerins, semblaient agenouillées pour boire, et leur visage couvert de rides, tremblait sur le miroir de l’eau ; d’autres maisons suivaient la pente, les unes vieilles, ratatinées, mendiantes en loques ; d’autres fières, toutes blanches avec des colliers de fleurs, des mantes de verdure, tous les joyaux printaniers que leurs bras tendus portaient vers le ciel. Dominant cette foule, une tour se dressait, farouche dans son vêtement de pierre, assombri de ferrures anciennes. Depuis quand était-elle là, comme le prêtre conduisant les pèlerins, comme le seigneur contemplant ses vassaux ! Était-ce le passé impérieux tenant l’avenir soumis à ses pieds ?

— Un lambeau de notre histoire, murmura le docteur.

La vision de cette tour hostile, se détachant sur les clartés du crépuscule, les surprenait comme un symbole mystérieux.

Ils se remirent en marche, déjà les jeunes filles s’éloignaient, insouciantes, dans la poussière d’or de l’horizon en feu.

  1. Gripot, synonyme de raidillon.