Page:Revue de Genève, tome 1, 1920.djvu/501

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d’esprit aura passé, et qu’en lui, le chroniqueur aura tué le conteur, l’Espagne ne lui donnera plus l’inspiration souhaitable ; l’intense ardeur de l’âme castillane ou andalouse n’échauffera plus cet esprit glacé ; il se contentera de ce que lui apporte d’espagnol son impériale amie Eugénie de Montijo, et il ne verra plus de l’Espagne, à travers les brumes du souvenir, que ce qu’on en peut voir de Biarritz où il accompagne la cour impériale.

La hantise espagnole est la mesure de la vivacité d’imagination de Mérimée, la pierre de touche de son esprit ; quand il n’en sera plus ébranlé, son œuvre même sera finie, il ne fera plus que des travaux.

Vingt ans encore, ces travaux : chroniques d’histoire, traductions, rapports sur l’architecture, aideront à occuper l’ennui de cette nature sans flamme. Le goût qu’il avait pour le vrai l’avait toujours fait pencher vers l’histoire. Avant Vitet, avant le Cinq Mars de Vigny, ou la Catherine de Médicis de Balzac, avant Notre-Dame de Paris, les imitateurs de Walter Scott, et les Trois Mousquetaires, il avait écrit la Jacquerie et la Chronique du règne de Charles IX. Quoique écrites au printemps de sa vie, et dans l’une de ses meilleures époques, ce sont des œuvres ennuyeuses ; ce sera pis avec Don Pedre, une fois passée sa jeunesse. On sait bien que Mérimée n’avait ni l’ardente aigreur d’un Saint-Simon, ni ce pouvoir chaleureux de résurrection d’un Michelet. Il n’écrivait que des « chroniques » auxquelles il manquait nécessairement d’avoir été vécues par lui.

Si respectable qu’elle soit et en dépit de son abondance, et de quelque intérêt par endroit, toute cette partie de son œuvre n’aura eu de prix que pour lui, pour remplir ses devoirs d’inspecteur des Monuments historiques, ou plutôt encore pour remplir son temps ; car il trouvait moins d’ennui dans les uns que dans l’autre. Il tint ses fonctions en conscience, avec honnêteté, avec goût, comme il faisait toutes choses ; sans doute, il a sauvé de la destruction plus d’un monument du passé, mais, de toute cette encre répandue, seule nous paraît encore vive celle des traductions du russe, et de la précieuse brochure sur Stendhal.