Page:Revue de Genève, tome 1, 1920.djvu/502

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En parlant de Beyle, Mérimée n’évoquait pas seulement l’auteur de la Chartreuse, mais ses propres années de jeunesse, le temps déjà lointain où il rencontrait Beyle chez les Stapfer, chez Delécluze, ou chez la comtesse de Teba ; où, débutant dans la carrière d’écrivain, il écoutait avidement l’ancien dragon et commissaire aux vivres, qui avait vu l’Italie, l’Allemagne, Moscou, et Napoléon, et qui n’en rapportait aucune grandiloquence, mais des anecdotes vivantes et précises, des saillies, des paradoxes et des histoires de femmes. Il comprit cet étonnant esprit où tant d’autres ne voyaient rien qu’un court et gros homme, un peu fat, et qui faisait la cour aux dames.

Il a compris Stendhal et il a aimé Beyle. « Peu d’hommes a-t-il dit, m’ont plu davantage, il n’y en a point dont l’amitié m’ait été plus précieuse. » C’est de quoi faire réserver une niche à Mérimée dans la chapelle stendhalienne. Mais on a voulu dire qu’il doit à Beyle presque tout : c’est aller un peu loin, c’est même aller de travers : et le surnom de Stendhal maigre qu’on a donné à Mérimée, si amusant qu’il soit, n’est pas juste. On a prétendu que Stendhal avait enseigné mille choses à Mérimée, et d’abord sa façon de voir : mais la vision d’un écrivain, est, de tout, ce que l’on ne peut pas lui enseigner : elle lui tient au corps ; ces sortes de greffes ou de transfusions n’existent que dans l’invention de ceux qui croient qu’on se fabrique à volonté et que le naturel obéit aux programmes. Il n’a en commun avec Stendhal que son « voltairianisme » et son besoin de voir net : hors de cela, ils diffèrent plus qu’ils ne s’assemblent. Stendhal est un bon garçon, ingénu qui veut se donner l’air d’un roué ; il y a dans Mérimée la moitié d’un roué qui conserve à tout prix des allures de gentleman. Stendhal est tout en imagination, en premier mouvement. en générosité de cœur, il est toujours amical, il a le goût inépuisable de se donner ; ensuite il raisonne, lève des plans, pose des règles, décrète comment on séduit une femme, et le moment venu, c’est à peine s’il ose lui parler : il ne se tient plus, il est ardent et maladroit, spirituel et délicieux, il dit ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas, et cependant il n’y a pas d’esprit plus clair entre deux mouvements de son cœur. Mérimée n’a pas de premiers