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une comédie inconnue de marivaux

timidement ce qu’on n’oserait dire ; on les retire, puis, en baissant les yeux, on les abandonne… « Ce n’est que des mains au bout du compte[1]… » « Ce n’est qu’une main après tout[2]… »

Mais entre une opinion personnelle et une certitude générale l’espace est vaste ; des faits historiques le viennent heureusement combler.

Tout d’abord, Marivaux parle de la Provinciale dans une de ses quatre lettres parvenues jusqu’à nous, que se disputent tous les dix ou quinze ans les amateurs d’autographes. Adressée à Laujon, secrétaire du comte de Clermont, cette lettre, reproduite dans le catalogue de la collection E. Bovet, est conçue en ces termes :

Je prie Monsieur Laujon de vouloir retirer pour quelques jours seulement la copie qu’on a faitte de la petitte pièce intitulée la provincialle ; je la rendray incessamment pour estre jouée quand on voudra luy faire cet honneur la. Et monsieur Laujon m’obligera beaucoup de vouloir bien menvoyer cette copie en vertu de la quelle même il mécrivit pour en oster quelques personnages de femme qu’on ne scavoit comment remplir. Jatens donc de sa bonté la grace que je luy demande et cest de la part de son tres humble et très obéissant serviteur qui lembrasse tendrement,

ce samedy

Entre les indications que fournit cette lettre[3] et le texte inséré dans le Mercure, la concordance est absolue : une petite pièce intitulée la Provinciale — La Provinciale du Mercure est en un acte — qui doit être jouée sur le théâtre du comte de Clermont — « Cette pièce n’a jamais été destinée pour aucun théâtre et n’a jamais été jouée qu’à la campagne » — et dont Marivaux ôtera quelques personnages de femmes qu’on ne sait comment remplir — deux

  1. L’Héritier de Village, scène II. Les Acteurs de Bonne Foi, scène IV.
  2. La Provinciale, scène XVII.
  3. Larroumet, dans son livre excellent et quasi définitif, Marivaux, sa vie et ses Œuvres, cite cette lettre et déplore la perte de la Provinciale. Il n’ignore pas qu’une comédie de ce nom a été publiée dans le Mercure, mais néglige cette similitude de titre. Je crois qu’il n’a pas eu le Mercure entre les mains, car il cite inexactement le texte de la notice, en s’appuyant entre autres sur l’erreur même qu’il commet pour nier que la pièce soit de Marivaux. On lit dans la notice : « Elle est pourtant d’un auteur connu par plusieurs pièces justement applaudies ; » Larroumet écrit : « par quelques pièces justement applaudies » Et il ajoute : « Il y aurait eu quelque ironie à désigner comme « auteur de quelques pièces » l’auteur fécond d’un théâtre si considérable ». Evidemment, mais encore faut-il respecter un texte formel.