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la revue de genève

femmes qui paraissent à la dernière scène, personnages quasi muets. Cette lettre a dû être écrite en 1756 ou 1757.

Le comte de Clermont, las des batailles et des hasards de la guerre, avait organisé, dans sa maison de Berny située à deux lieues de Paris sur la route d’Orléans, des représentations que dirigeaient Mademoiselle Gaussin et le vieux Duchemin. En 1757, ayant sollicité et obtenu, pour son malheur, la succession du maréchal de Richelieu en Hanovre, il renvoya ses acteurs, ses invités et ferma son théâtre. Or, cette même année, un autre périodique mentionne la Provinciale : le Conservateur qui, en novembre 1757, publie sans nom d’auteur les Acteurs de Bonne Foi, — comédie de Marivaux, recueillie dans ses œuvres complètes — et la fait précéder de cette note fort curieuse :

« Voici une petite comédie qui n’a jamais paru et dont nous ne connaissons pas l’auteur. On nous l’a envoyée avec différents écrits sur toute sorte de sujets, parmi lesquels nous avons encore trouvé une comédie intitulée la Provinciale que nous donnerons à son tour, si celle-ci ne déplaît pas. »

De cette note il résulte : que Marivaux envoyait aux périodiques, sans se faire connaître, celles de ses petites pièces qui n’avaient été jouées qu’à la campagne ; que la Provinciale était de celles-ci ; enfin qu’elle était inconnue en 1757.

A cette époque, Marivaux, âgé de soixante-neuf ans, habitait un petit appartement de la rue Richelieu ; grâce à la touchante sollicitude, à l’humble affection d’une vieille amie, mademoiselle de St Jean, son amour-propre savourait encore quelques douceurs ; dans l’oubli où peu à peu s’enfonçait l’écrivain, l’homme, isolé, survivait dignement à sa vogue. On ne jouait plus guère ses comédies ; une des dernières, la Dispute, avait été sifflée ; une autre Félicie, lue et reçue au Théâtre français, ne fut pas représentée. Ses insuccès répétés le découragent d’affronter un public dont les ambitions, les curiosités, le dépassent. Mais il faut vivre. En se privant du nécessaire, mademoiselle de St Jean lui a donné la douce certitude qu’il subvient seul aux besoins de leur petit ménage ; et soucieux de cacher une pauvreté humiliante, ne voulant pas attirer