Page:Revue de Genève, tome 5, 1922.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Acte qui ne suppose pas de renoncement immédiat en vue d’une récompense à venir. Le renoncement, dont l’auteur de la Porte Etroite n’écarte pas l’idée, n’est chez lui ni dévote abnégation, ni refus stoïque. Il est encore désir, désir exalté, purifié, où le cœur s’enfonce amoureusement, refusant, parce qu’il en imagine d’autres, les sources offertes à sa soif, et faisant de la non-joie encore une joie.

« De l’amour et de la pensée c’est ici le confluent subtil… » Sensibilité et intelligence se rejoignent. Le désir de Gide appelle la connaissance, il la suppose et l’engendre, il la réclame comme son principe et sa conséquence. En apparence inconstant, inconsistant, à travers les plus sinueux détours il ne se perd point, il s’épaissit de pensée. Sans rien abandonner de cette valeur qui est dans sa complication, il en acquiert une autre, et devient pouvoir d’orientation. L’inquiétude dont nous avons le spectacle est d’abord d’ordre intellectuel. Elle est curiosité, au sens où le fut celle d’Eve écoutant le serpent, tentation d’être comme Dieu, de savoir le bien et le mal. La flamme que trahit le regard de Gide n’est point d’ordinaire passion, le scintillement de sa prunelle est aussi clarté. Non point la clarté reposée d’un Tagore qui s’étant trouvé se contemple, mais l’éveil d’une lumière dont ceux qui entourent Gide ne savent pas encore qu’elle a lui, parce qu’ils sont absorbés par le lieu, par le moment, tandis que lui, jamais tout à fait présent, les a déjà quittés pour l’accueillir. Il ne laisse à personne le temps de le suivre, il ne s’accorde pas à lui-même le temps de s’arrêter. Le « ramier de sa joie » ne s’est pas posé qu’il est reparti. Sans trêve l’aventure sollicite un esprit qui la voit s’ouvrir moins peut-être comme une source d’émotions que comme une source d’expériences. Ses voyages, ses lectures, ses déplacements dans l’espace et le temps, dans le plan de la géographie et dans celui de la pensée, répondent plus qu’à des caprices à un besoin de l’intelligence, et, il faut s’en souvenir quand on parle du roman d’aventures dont il a provoqué la renais-