Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/659

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
655
LA PREMIÈRE PRÉSIDENCE DE M. ROOSEVELT

New-York, il avait appris qu’un réformateur, si bien intentionné soit-il et quels que soient son prestige et sa popularité, ne peut rien s’il demeure isolé ; il avait éprouvé la puissance de la « machine » et compris qu’il ne pourrait exercer une influence sérieuse qu’à la condition d’appartenir à un parti. Il s’était affilié au parti républicain. Il avait donc abandonné la poursuite du « plus grand bien » pour les réformes réalisables ; il avait pratiqué les compromis inévitables en politique. Gouverneur de l’État de New-York, tout en contraignant les politiciens à des mesures qui leur déplaisaient, il était demeuré en bons termes avec le sénateur Platt, le boss républicain de cet État, et il avait soigneusement évité toute mesure qui pût amener la désunion dans son parti. Président, il allait user d’une pareille modération à l’égard des trusts.

La présidence de M. Mac Kinley avait marqué un développement extraordinaire de la prospérité matérielle. La production industrielle, notamment, avait dépassé, pendant cette courte période, les prévisions les plus optimistes. Malgré l’accroissement constant des débouchés intérieurs, l’exportation des produits manufacturés, qui, en 1895, n’atteignait encore qu’un milliard de francs, s’élevait en 1900 à plus de deux milliards. Pour profiter des avantages de la concentration industrielle et limiter la concurrence, des hommes entreprenants avaient syndiqué les maisons les plus puissantes dans la plupart des branches de la grande industrie ; pourvus de capitaux considérables, ces trusts, grâce à leur puissance financière et à l’importance de leur production, pouvaient dominer le marché et maintenir à leur guise le prix de leurs produits. À partir de 1898, la trustomanie avait sévi avec une intensité extraordinaire ; peu d’industries y avaient échappé. En 1901, on évaluait à 35 milliards de francs le capital nominal représenté par 287 trusts industriels. Au nombre des plus célèbres, étaient le fameux trust du pétrole, l’aîné de tous, avec un capital de près d’un demi milliard, et le trust de l’acier, le dernier, le plus colossal, le chef-d’œuvre financier de M. Morgan, dont le capital, actions et obligations, dépassait, en valeur nominale, 7 milliards.

Le public avait appris à redouter ces colosses, dont la tyrannie s’étendait sur le domaine tout entier de l’Union. Dans