Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
LA REVUE DE PARIS

notre dernier voyage, mais nous parlons de vous et pensons à vous, Guttinguer et moi, autant que nous faisions alors avec Boulanger. Nous sommes allés dimanche soir coucher aux Hayons, terre de Guttinguer à huit lieues de Rouen ; nous y avons passé le lundi. C’est le plus beau et le plus riche pays du monde, où vous seriez à ravir, loin de tout bruit, sous d’admirables hêtres, pour faire une ou deux pièces ; Guttinguer voudrait bien que l’idée vous en prît et qu’un nouvel Hernani prît naissance de ce côté.

Nous sommes partis et arrivés mardi à Rouen, où nous avons été reçus par mesdemoiselles Guttinguer, tante et nièces, très aimables et fort gaies, quoique fort pieuses ; c’est une maison de bien bon ordre, et qui donne du calme à y vivre. Nous parlons beaucoup de vous, de madame Hugo ; nous nous récitons de vos vers, Guttinguer et moi ; et le soir nous racontons à ces demoiselles des histoires de chez vous ; elles connaissent votre société, les noms de vos amis et de vos visiteurs, – jusqu’à M. de Saxe-Cobourg : vous voyez qu’elles sont au fait de tout. – Vous, j’espère que vous êtes installé et bien près de recommencer quelque nouveau chef-d’œuvre. Madame Hugo est-elle contente ? Est-elle bien fatiguée ? Qu’a-t-elle fait de ses enfants dans ces jours de grand embarras ? Voilà ce que je me suis demandé souvent. Nous nous disions : c’est aujourd’hui le grand déménagement, aujourd’hui Victor découche, où dînera-t-il ? Où passera-t-il sa journée ? – Vous êtes tout pour moi, mon cher ami ; je n’ai compté que depuis que je vous ai connu, et quand je m’éloigne de vous, ma flamme s’éteint. Elle est bien morte, je n’ai rien fait, ni pensé à rien faire depuis mon départ. Je vis, assez heureux, content de me voir chez notre bon ami, mais sans but et sans passé cela durera encore un certain nombre de jours, j’oublie,

L’oubli seul désormais est ma félicité.


Vous le dirai-je et à madame Hugo ? Je crains que, dans tous ces tracas, vous pensiez peu à moi ; le peu que vous en ferez, j’en serai bien reconnaissant. Dites-lui, à madame Hugo, que j’ai d’elle aussi et de ses bontés pour moi un souvenir bien profond ; c’est par elle et vous que je suis revenu à croire au bien moral.