À moi, mes braves archers ! À mon aide ! On me tue ! On me coupe la gorge[1] !
Courage donc ! on dirait que tu as peur d’enfoncer ! — Es-tu sûr que les voisins nous entendent ?
Satan, du fond de l’enfer, nous entendrait. (Il s’essuie le front.) Par mon âme de damné ! C’est un rude jeu que tu as inventé, maître. Mais dis-moi donc enfin pourquoi tu me fais crier et blasphémer ainsi tous les jours dans cette chambre ?
Je te l’ai dit vingt fois. J’aime à épouvanter les voisins[2]. Lorsqu’ils nous entendirent faire ce bruit, le premier jour, et qu’ils s’assemblèrent pour cerner la maison, était-il rien de plus risible que leurs faces effarées, leur empressement à chercher, dans tous les coins, l’homme que nous égorgions, et leur colère quand ils virent que c’était un jeu pour les railler ? Ah ! je leur ai ri au nez de bon cœur, il m’en souvient. Maintenant qu’ils ne se dérangent plus, ils me donnent encore bien de la joie, en se plaignant du sabbat infernal dont retentit cette maison, et je parie que, pour faire la sieste, ils descendent dans les caves. Ces bons voisins qui disent tant de mal de moi, ah ! je les entends d’ici : « Ce réprouvé de Lorenzo est devenu fou, le diable habite sous son toit, et quelque jour, on les verra tous deux traverser les airs. »
Tu as beau dire, maître, jamais on n’a pris tant de peine pour être incommode à ses voisins. Il y a autre chose que tu me caches. Mais j’ai trop couru le pays des aventures pour ne pas soupçonner quelque mystère. Tu as des projets, maître, et tu ne veux pas me les dire. C’est mal.
- ↑ Cf. Musset, Lorenzaccio, acte III, sc. i :
SCORONCONCOLO
Maître, as-tu assez du jeu ?
LORENZONon. Crie plus fort…
SCORONCONCOLOÀ l’assassin ! Ou me tue ! on me coupe la gorge !… À moi, mes archers ! Au secours ! On me tue ! Lorenzo de l’enfer !…
- ↑ Cf. Musset, Lorenzaccio, ibid.
SCORONCONCOLO
(S’essuyant le front.) Tu as inventé un rude jeu, maître… Maître, tu as un ennemi…
LORENZO… Je te dis que mon seul plaisir est de faire peur à mes voisins.