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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

dans la conscience, mais pourtant puisse y apparaître, et ne cesse pas, même sans y apparaître, de la modifier.

On peut demander maintenant pourquoi telle idée surgit dans la conscience de préférence à beaucoup d’autres idées qui auraient tout autant de raison d’apparaître. Il faut remarquer à ce sujet que le détail du cours des idées n’est pas mieux expliqué par la prétendue loi de l’association des idées que par les lois de la pensée réfléchie. Pourquoi l’idée d’orange évoque-t-elle pour vous l’idée du citron, et pour moi l’idée de la terre ? Cela, c’est le donné même ; c’est le fait de la conscience limitée et imparfaite. Il est certain que nous ne découvrons pas naturellement les idées dans l’ordre où elles se composent : nous sommes sujets à l’ignorance et à l’erreur. On peut partir de là, et chercher comment on s’en échappera le mieux. Demander pourquoi l’on y est, c’est comme si l’on demandait pourquoi l’on a le nez fait de telle manière. Tout ce que l’on peut essayer, c’est de relier cette imperfection de notre conscience a notre limitation dans le lieu, c’est-à-dire de chercher comment l’évocation des idées s’exprime physiologiquement.

La conscience a pour forme l’unité. Or tout ce qui est conservé est bien un ; mais cette unité totale en fait nous échappe, sans quoi nous aurions à chaque instant conscience de tout. Il faut donc, pour que la conscience soit ce qu’elle est, qu’il y ait autre chose que l’unité pure et simple du corps, en vertu de laquelle, toutes ses parties étant solidaires, chacune d’elles est modifiée par les autres à chaque instant. Il faut que l’unité du corps ne soit pas une unité simple, une unité immédiate, résultant d’une action directe de chaque partie sur toutes les autres, mais une unité médiate, faite elle-même d’unités. Sans cette condition, la multiplicité et la confusion des idées seraient inexplicables, tout ce qui est conservé s’exprimant au même degré dans l’état général du vivant. Il faut donc non pas un centre, immédiatement relié aux parties, mais un système de centres subordonnés les uns aux autres, de façon que l’unité totale puisse tout enfermer sans que tout soit distinct. Telle est la condition physiologique de la vie consciente. Avoir conscience, ce n’est pas avoir toutes les idées que l’on a de la même manière en même temps, ce n’est pas exprimer également toutes les idées dans une seule ; c’est savoir et ignorer en même temps ; c’est avoir l’ensemble sans le détail et saisir le tout avant les parties. Cela suppose non seulement que tout ce que nous sommes forme un tout, mais encore que