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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

les parties de ce que nous sommes forment aussi chacune un tout, une unité subordonnée, une conscience pour soi qui est objet de conscience pour nous. Il faut donc que, comme corps vivant, nous soyons composés de corps vivants ayant chacun une unité, et qu’ainsi tout ce qui est conservé ne se traduise pour le tout qu’avec autre chose. C’est pourquoi il ne faut pas dire qu’un centre unique, en qui tout vient retentir, représente suffisamment l’évocation des idées acquises. S’il en était ainsi, n’importe quoi serait lié directement à n’importe quoi, et une idée éveillerait indifféremment toute idée. C’est à cela que nous tendons lorsque nous percevons et lorsque nous agissons ; mais nous n’y arrivons pas complètement : nous ne pouvons empêcher notre vie organique de s’exprimer confusément dans notre connaissance des choses ; nous ne pouvons empêcher ce qui est acquis, et que nous retrouvons, d’entraîner avec lui autre chose que nous ne cherchons pas, qui est mêlé à lui, et parfois même nous le cache : nous devons compter avec des consciences partielles. Notre vie extérieure s’exprime assez bien dans l’image d’un cerveau qui reçoit des impressions et renvoie des actions ; notre vie intérieure, soutien de l’autre, ne s’exprime que par un système complexe de centres subordonnés, dont chacun perçoit et agit pour soi, enveloppant déjà ses éléments dans l’unité d’une conscience, ou si l’on veut, ses parties dans l’unité d’une action. Ainsi, de même qu’il ne faut pas dire, si l’on veut parler en physiologiste, que c’est le cerveau qui conserve, il ne faut pas dire non plus que c’est le cerveau qui évoque, ni chercher à expliquer ce qu’il y a de fortuit dans la suite des idées par l’adaptation des parties du cerveau, par la supposition de chemins de moindre résistance créés aux chocs et aux ébranlements par des actions répétées. Concevoir la vie pensante comme représentée par un cerveau, c’est concevoir une pensée abstraite, qui n’a derrière elle, dans son passé, rien de confus ; c’est réduire la vie pensante à sa pure forme, c’est-à-dire en définitive à des mots. En réalité notre pensée actuelle est conditionnée par des pensées antérieures organisées : c’est avec nos erreurs que nous devons faire la vérité. De même, c’est avec la vie propre de nos organes, et en nous servant de leurs réactions propres, que nous devons agir. Et lorsque ce qui est conservé surgit dans la conscience, c’est toute notre vie organique, tout le système complexe des centres nerveux subordonnés qui imposent au tout leurs droits acquis, c’est-à-dire la forme des mouvements qu’ils règlent. Ce paradoxe de la mémoire, la