Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1920.djvu/12

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vraiment fondée sur le développement de la conscience, d’une société réellement démocratique, le caractère de contractualité. L’instabilité des prix a rendu de plus en plus impossible la pratique normale des marchés. On ne peut plus conclure d’achats en vue d’une fourniture régulière et durable. Chacun refuse de s’engager parce qu’il est impossible de savoir à quoi l’on s’engage. Plus de catalogue stable sur lequel on puisse fonder une commande, établir un devis. On ne sait ce que sera le change, ce que sera le prix de la marchandise, si après se l’être assurée, on pourra la transporter et la livrer.

Les mêmes surprises se produisent du côté de la main-d’œuvre, et ici il faut bien le dire, il n’y a pas eu seulement une difficulté de contracter et d’organiser la production ou l’échange : nous avons assisté à un véritable système de rupture de contrats. La récente grève des imprimeurs en est un des plus frappants exemples. Malgré un contrat de travail qui le liait jusqu’au 1er juin, le syndicat des ouvriers typographes des journaux parisiens déclarait subitement la grève le 10 novembre 1919. Ayons le courage de le dire : de pareilles pratiques sont incompatibles avec toute vie sociale organisée, et le seraient sous n’importe quel régime économique. Elles le seraient plus encore sous un régime socialiste où, par définition, la solidarité serait forcement plus étroite, plus nettement définie, entre les corporations, qu’elle ne l’est aujourd’hui, où surtout la responsabilité de chaque corporation vis-à-vis de l’ensemble du corps social devrait être rigoureuse. Aujourd’hui cette responsabilité est inexistante. Tandis que l’employeur peut être poursuivi pour brusque renvoi et que les tribunaux ont sans cesse à prononcer sur des litiges de ce genre, le brusque abandon du travail n’a aucune sanction, alors même que par son échec, la grève se révèle parfois injustifiée, et que les prétentions mises en avant sont reconnues impossibles à satisfaire. Le Marxisme accusait le capital d’exercer sur le prolétariat une sorte de chantage, parce que, en détenant les moyens de production, il tenait l’ouvrier à sa merci. Ce fut peut-être la situation à un certain moment, bien que la fameuse « loi d’airain » ait été démontrée fort inexacte dans sa teneur précise. Mais ne semble-t-il pas qu’aujourd’hui la situation soit retournée et que si la puissance qui dans la lutte économique permet de dominer l’adversaire a changé de camp, elle n’a pas changé de procédé ? Je ne veux naturellement pas discuter ici une pareille question, mais j’y trouve l’occasion de montrer d’une manière particulièrement frappante l’insuffi-