Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1920.djvu/13

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sance radicale du sens social où je prétends qu’est l’essentiel de la conscience.

D’une part, en effet, une corporation qui décide la grève pour une augmentation de salaire se place uniquement en cela au point de vue de ses besoins, des exigences qui lui paraissent normales et qui le sont peut-être. Mais elle ignore d’ordinaire, elle ne peut ni surtout ne veut savoir d’où viendront les ressources sur lesquelles seront prélevées les sommes nécessaires. Les cheminots réclamaient « leurs cent sous », et je ne pense pas que cette exigence en elle-même parût bien extraordinaire, même alors. Mais ce qui était remarquable, c’est qu’à aucun moment on ne s’est demandé quelle en serait la répercussion sur le budget de l’entreprise. Même observation pour la grève des journaux ; il a été démontré qu’il était impossible de satisfaire aux demandes des grévistes sans bouleverser et peut-être compromettre l’industrie du journal. Dès à présent on peut dire que, à moins d’inventions imprévues qui permettent de diminuer par d’autres côtés, le prix de l’impression, les salaires des compositeurs et correcteurs d’imprimerie rendent à peu près impossible l’édition de travaux savants, publiés nécessairement à un petit nombre d’exemplaires ; seuls les ouvrages populaires ou les revues à grand débit peuvent faire leurs frais. C’est dès aujourd’hui une menace extrêmement grave pour la diffusion de la pensée et de la science françaises dans le monde. Si un changement n’intervient pas de quelque côté, notre admirable et douloureuse victoire, dont déjà nous faisons les frais dans une proportion plus forte qu’aucun de nos alliés, sera suivie d’une éclipse étrange du génie français au moment même où il devrait bénéficier d’une incomparable autorité. Voilà des répercussions dont on ne s’inquiète pas, lorsque l’on considère isolément des exigences corporatives.

Mais il est un autre point sur lequel se révèle peut-être encore davantage l’absence de cet « esprit d’ensemble » que requérait Auguste Comte, et du sentiment correspondant de la contractualité. C’est que dans les luttes économiques le public est étrangement perdu de vue. La lutte menée entre la capital et le travail se fait presque tout entière aux dépens du public qui n’en peut mais. Une grève dans les transports, dans les postes, dans le journal, quels qu’en soient les motifs et quel qu’en soit l’aboutissement, engendre pour une foule de travailleurs, de consommateurs, d’organes sociaux de toutes sortes des gênes et des pertes incalculables ; en réalité ce