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L. BRUNSCHVICG – la pensée mathématique

déterminée du point fixe. La somme de ces droites équivaudra de part et d’autre aux figures qu’il s’agit de comparer, la distance respective de leurs centres de gravité au point fixe du levier permettra de mesurer le rapport des surfaces[1]. Il serait difficile de pousser plus loin le génie inventif, et Archimède a pleine conscience que sa méthode n’est pas un expédient de fortune, qu’elle est un procédé général de découverte. Après la publication du traité de la Quadrature de la Parabole, qui en avait fourni pourtant un exemple probant il écrit un nouveau traité — celui qui vient d’être retrouvé par Schöne et Heiberg — afin de mieux faire comprendre la fécondité de la méthode, afin de la recommander aux savants « actuels ou futurs[2] »

Mais le tableau a sa contrepartie dans la Préface du Traité de la Méthode, Archimède refuse à la méthode qu’il a préconisée pour l’invention la vertu démonstrative. Il promet de reprendre à laide de la méthode géométrique et montrant en détail qu’à chaque théorème les procédés de l’exhaustion peuvent s’appliquer, les propositions dont la méthode mécanique lui avait pourtant fait apercevoir la vérité avec certitude. Et le contraste est plus accentué encore dans la partie de l’œuvre qui était connue au moyen âge et dont l’influence s’est exercée directement pour la renaissance de la mathématique moderne, en particulier dans le Traité de la Quadrature de la Parabole ; la méthode d’invention y est nettement subordonnée à la méthode d’exposition, le souci d’éclairer, comme dit Lacroix[3], à celui de convaincre. De sorte qu’à travers tout le cours du XVIIe siècle, ceux qui s’ouvriront la « voie véritablement royale[4] » de l’intégration se heurteront à l’autorité du nom d’Archimède, comme au dogme officiel d’une Église.


Cavalieri

L’examen des œuvres de Viète, de Kepler, de Cavalieri montre par quels degrés la pensée des modernes a repris, possession de la

  1. Ed. Heiberg, t. II, 1881, p. 300 et suiv. Voir l’exposition de Mikhaud, Le Traité de la méthode d’Archimède, Revue scientifique, 3 octobre 1908, p. 418.
  2. Revue générale des Sciences, 30 novembre 1907, p.916.
  3. Préface des Traités du calcul différentiel et intégral, 2e édit., 1810, t. I, p. 2-3. Cf. la Logique de Port-Royal (1662), IV, IX, Premier défaut [de la méthode des géomètres] Avoir plus de soin de la certitude que de l’évidence, et de convaincre l’esprit que de l’éclairer
  4. C’est l’expression que Torricelli applique à la méthode de Cavalieri dans De dimensione parabolæ