Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 6, 1914.djvu/128

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que la religion a perdu, il y a déjà longtemps, son importance intellectuelle. Sa cosmologie est surannée. A cet égard, la science née de la religion, s’est substituée à cette dernière et en remplit actuellement les fonctions. Mais il convient de remarquer que c’est au seul point de vue intellectuel que la science est devenue l’équivalent de la religion : comme force recréatrice et vivifiante, comme source de courage et de confiance, elle ne saurait la remplacer. La vie ne peut attendre patiemment l’aboutissement de la science. Et même, est-ce que la science aboutira jamais ? Il faut donc que la vie pousse la pensée par delà les limites de la recherche scientifique : c’est une transformation de la religion qu’on verra se réaliser plutôt que son abolition complète.

II

Le résumé que je viens de faire du livre de M. Durkheim ne peut donner qu’une idée imparfaite de sa grande abondance en vues nouvelles et instructives. Le sujet très spécial dont il traite, qui est la religion des tribus, de l’Australie centrale, est étudié avec une parfaite compétence et une rare, puissance d’analyse. De l’ouvrage de M. Durkheim je me suis reporté à quelques-unes des sources, en matière d’histoire religieuse, notamment aux publications de Strehlow, et j’y ai vu confirmer les manières de voir émises par l’auteur. L’exposé de M. Durkheim se distingue agréablement, par sa concision, des autres travaux où ont été traites des sujets analogues. Ordinairement, un style diffus et de nombreuses répétitions font de ce genre d’écrits une lecture extrêmement fatigante. Tel le Galden Bough de Fraser, cet ouvrage si justement célèbre, mais qui accable le lecteur par ses redites et son manque de concentration. A l’exposé général de l’état actuel de la question, M. Durkheim rattache une critique instructive des théories précédemment mises en avant, critique qui porte tant sur les incorrections de détail que sur les erreurs dues aux généralisations précipitées. D’ailleurs le sujet spécial de sa recherche n’intéresse l’auteur qu’autant qu’il pourra servir à éclairer la nature générale de la religion. En effet, M. Durkheim pense retrouver dans la religion la plus simple qui nous soit connue, le fond essentiel de toute religion. Et à force de fouiller, de creuser son sujet, de poursuivre son analyse avec l’énergie qui le caractérise comme auteur et comme savant M. Durkheim a fini, je crois, par