Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 6, 1914.djvu/129

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toucher à ce qu’il y a de plus central dans les religions. Pour ma part j’ai vu avec le plus grand intérêt élaborer du point de vue sociologique une conception de l’essence de la religion, qui me semble venir confirmer celle que j’étais arrivé à formuler sous l’aspect psychologique, dans ma Philosophie de la Religion. Mais pour faciliter l’intelligence mutuelle il sera bon que la sociologie et la psychologie vident d’abord un différend.

Le grand contraste du sacré et du profane qui représente pour lui le fondement et l’origine de toute religion, — ce contraste étant à la base de tout culte, de tout mythe et de tout dogme, — M. Durkheim le ramène à la société, à sa conservation, aux conditions de son bonheur. Mais, comme il le donne à entendre, une question se pose comment la société est-elle devenue, sans que l’homme en ait pris conscience, la source du sacré ? M. Durkheim fournit lui-même la réponse c’est que la société engendre les valeurs les plus hautes aux yeux de l’homme, — qu’elle est le grand soutien dans la lutte pour l’existence, — et encore, et surtout qu’elle est l’origine de tout ce qui fait e l’homme quelque chose de plus qu’un animal. Le raisonnement de M. Durkheim est analogue à celui qui inspirait sa communication à la Société Française de Philosophie sur Le fait moral[1]. Il y dérive toute morale de la société et allègue à l’appui de sa thèse que dans la société naît, se maintient et se transmet la civilisation et particulièrement les biens de la vie spirituelle. Reste alors à savoir si la société remplit vraiment les fonctions que lui attribue M. Durkheim. Or, un examen approfondi.ie la question fera voir qu’il existe des données encore plus fondamentales que celles représentées par la persistance de la société. Si la notion du sacré implique l’idée sociale, l’idée sociale implique à son tour celle des valeurs. C’est précisément en tant que source des valeurs que la société est censée avoir donné naissance au caractère sacré. Et voilà par où je reviens de la définition de la religion donnée par M. Durkheim à celle que j’ai essayé de fournir dans ma Philosophie de la Religion et d’après laquelle toute religion se fonderait sur l’axiome, de la conservation des valeurs. Dans la mesure seulement, où elle entre comme élément, ou moyen, dans la conservation des valeurs, la notion de la permanence de la société peut prendre un caractère religieux.

  1. Bulletin de la Société Française de Philosophie, 1906. — Cf. mon livre Den menneskelige Tanke, 1913, p. 353-357 (La pensée humaine, Paris, Alcan, 1911, p. 356-359).