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M. Brunschvicg. Je termine par quelques points de détail. J’aurais voulu savoir la date des lignes « grosses d’idées » que vous citez p. 74. Selon vous, aucun esprit sérieux ne peut croire à l’accident du pont de Neuilly ; pour ma part j’y crois. Je vous trouve bien hardi de déclarer défectueuse (parce qu’elle négligerait, suivant vous, de considérer notre fragilité physique) la définition que Pascal donne de l’homme « roseau pensant », p. 156. Dans le passage de Pascal que vous avez cité p. 91, vous n’avez pas le droit de préférer du tout' à de tout que donne le manuscrit, ni pour la même raison, dans le passage cité p. 68 métaphysique à physique.


Maine de Biran. Essai de biographie historique et psychologique, par M. l’abbé de Lavalette-Monbrun.

Le choix du sujet est difficile : j’ai songé à Richelieu controversiste ; mais il y avait une thèse latine sur ce sujet. Sur le conseil de M. Faguet j’abordais l’étude de Maine de Biran, mon compatriote. Je suis resté douze ans dans l’intimité de Maine de Biran ; des raisons de famille m’y engageaient ; la porte me fut ouverte par les descendants du philosophe. L’édition de Victor Cousin me rebuta ; le Journal Intime me révéla davantage le philosophe. En 1903, j’obtins la moitié du prix Bordin. M. Bergson voulut bien signaler la partie biographique et psychologique comme la plus intéressante. M. Boutroux donna à mon projet de développer cette partie une pleine approbation.

Il n’y a pas de biographie véritable de M. de Biran ; l’une, très courte, concerne seulement l’homme public ; l’autre de M. Naville, ne nous renseigne pas sur l’intérieur, les relations du député de Bergerac. La tâche des biographes consiste à fixer les traits incertains. J’ai trouvé beaucoup d’inédits ; 2 à 3000 p., 600 de vie intime, 600 de notes philosophiques, 800 de notes politiques, etc. J’ai dédié mon travail à M. Ernest Naville, à la mémoire duquel j’adresse mes pieux hommages. Taine jugeait que M. de Biran avait écrit dans une cave : mais il en tira un vin excellent, répondait M. Naville.

L’édition de 1841 est mal faite. Victor Cousin a nui à la renommée de Maine de Biran. L’œuvre de M. Naville est infiniment plus soignée et plus intéressante.

V. Cousin confisqua à son profit la gloire de Maine de Biran. C’est ce dernier qui est le maître de la philosophie spiritualiste au xixe siècle siècle. Par un juste retour des choses, la gloire de Maine de Biran remonte considérablement, et celle de Victor Cousin a baissé.

Nous avons retracé l’enfance paisible, l’adolescence studieuse, la jeunesse dissipée à Versailles en compagnie des gardes du corps, de Maine de Biran. Brisé par la Révolution, il se retire dans la solitude. Il se maria deux fois ; sa vie fut entourée d’affections. Son importance au point de vue chrétien est considérable ; il a considéré l’homme terrestre d’où tout part, et l’Homme Dieu où tout aboutit. Parti de l’athéisme il est arrivé à l’apogée de la vie chrétienne ; âme simple et droite, il a cherché le vrai pour le vrai, avec un désintéressement sans égal. L’habitude de s’analyser, son tempérament maladif, l’ont porté à la mélancolie. Nous croyons être en droit de déclarer que Maine de Biran, de chrétien à la manière de Stapfer, était devenu chrétien selon Bossuet, lorsqu’il reçut les sacrements à son lit de mort.

Il fut mêlé à la politique toute sa vie. Modéré avant tout, il suivit le juste milieu et affronta les feux croisés des exagérés des deux partis. Il fut un maître écrivain politique et un maître éducateur. Homme du monde accompli, il représentait l’ancienne aristocratie, mais aspirait à la solitude. C’est à être penseur original, alors que Condillac procède de Locke, Cousin des Écossais, que consista sa véritable grandeur.

Il a su tirer de l’effort musculaire un système philosophique très cohérent. Ce fut, selon une expression de lui, un Colomb de la conscience. Il ne fut pas complètement isolé. Nous avons laissé à un philosophe contemporain l’honneur d’écrire sur lui un livre définitif, analogue à celui qu’il fit sur la Raison pratique de Kant. Un seul chapitre sur la métaphysique nous a paru indispensable pour unifier ce qu’il y avait de propre dans son tempérament intellectuel. L’effort resta le principe de la vie de l’esprit selon lui. Il prévit ce que Renouvier et James ont dit plus tard sur le rôle de l’effort dans une théorie de la conscience. Son journal intime, est en effet, pourrait-on dire le tourment d’une conscience en mal de l’infini.

M. Lêvy-Brühl remercie M. de Lavalette-Monbrun de son exposé, et invite M. Delbos, qui a lu le travail en manuscrit, à bien vouloir prendre la parole.

M. Delbos ne peut que féliciter M. de Lavelette-Monbrun sur le choix de son sujet ; les biographies de philosophes sont toujours utiles, et l’auteur possédait des documents abondants. On ignorait presque toute cette vie politique, qui paraissait