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seulement singulière. Mais il s’agissait toutefois de la biographie d’un philosophe ; l’intérêt d’un tel ouvrage est de montrer le rapport de la vie elle-même avec la production des œuvres. Maine de Biran, comme l’auteur le dit, a fait sortir — sa philosophie de l’analyse même de sa vie.

M. Delbos fait ensuite quelques réserves sur l’utilisation des documents par l’auteur, très bref sur tout ce qui prépare la doctrine. Pourquoi a-t-il l’idée.de constituer sa doctrine en harmonie avec sa propre vie ? L’auteur reconstitue le métaphysicien du moi d’après un 3e, 4e ou 5e remaniement de la 1re forme originelle de sa pensée. Or, du premier mémoire sur la décomposition de la pensée, l’auteur ne parle même pas. Biran à institué une critique de la notion de cause en psychologie ; il faut se demander s’il n’y en avait pas d’antécédent. L’auteur a eu en main le premier journal intime de Maine de Biran ; cela doit être plus confus que le définitif ; mais il contient des renseignements sur les livres qu’a lus Maine de Biran ; l’auteur n’en parle pas. Il fallait faire un départ entre l’inutile l’indispensable.

M. de Lavalette-Monbrun répond qu’il y avait dans la vie publique du philosophe des choses inconnues encore et indispensables à dire.

M. Delbos n’est pas fâché de connaître tous ces détails ; mais il y a des éléments philosophiques dans le Journal intime qu’il faut mettre en lumière. L’auteur a procédé par reconstruction ; mais il y a la façon dont Maine de Biran a développé sa pensée : et l’auteur n’a pas fait appel à tous les renseignements utiles. Il y a de la diffusion et un certain manque d’esprit critique ; de l’ornement littéraire, de la naïveté (au bon sens du mot) et un certain ton de polémique. L’auteur avait le droit d’avoir ses convictions ; de les exposer à sa manière, mais il s’écarte trop souvent de la sérénité qu’il faudrait. Il y a des façons de dire qui ne sont pas admises par tout le monde.

M. de Lavalette-Monbrun fait observer que le philosophe haïssait la Révolution, et que cet état d’âme l’a entraîné à partager ses sentiments politiques, et de parler le même langage. Il a dit que Maine de Biran n’a pas assez de recul pour parler des événements.

M. Delbos remarque que Cousin a servi trop souvent de cible aux critiques. Il y a une lettre de Félix de Biran à Victor Cousin (1839). L’édition Naville était.déjà engagée. La famille a sa part dans la négligence qu’on apporta à ce travail. Mais l’édition Cousin comprend une réédition du mémoire sur l’habitude et des fragments sur la décomposition de la pensée. Il rééditait des œuvres déjà imprimées.

M. de Lavalelte-Monbrun répond que Cousin ne soignait pas le travail d’édition.

M. Delbos montre que les références ne sont-pas assez précises et que les conjectures ne sont pas toujours bien établies. Le moment où le philosophe a été introduit dans la société d’Auteuil est important, la conjecture faite par l’auteur à ce sujet est inadmissible ; il n’a été introduit qu’une fois son mémoire couronné (le mémoire sur l’Habitude), or, si on lit certains documents inédits, on voit qu’il n’a pas fréquenté les idéologues avant ce moment là. L’auteur cite Jouffroy parmi les admirateurs de Maine de Biran ; M. Delbos n’en connaît pas de preuve précise. — Il y a une appréciation laudative qui surprend un peu. L’auteur n’a pas de texte à citer. Il veut être laudatif à tout prix. Il veut que Maine de Biran réponde à toutes les exigences de son idéal, poète métaphysicien à la façon de Platon et de Malebranche. Il n’y a pas de rapport avec l’art si brillant et si spontané de ces deux derniers. — Il n’a pas lu, comme l’auteur le croit, la critique de la Raison pure ; mais-il ne connaît Kant que par un exposé.

On peut d’un point de vue général, critiquer l’emploi du mot « sensualisme ». On-peut dire qu’il a toujours combattu l’innéité : il serait resté en ce sens sensualiste toute sa vie. Le mot d’idéologie est un peu vague ; elle a marqué une réaction contre le pur condillacisme. Il y a dans les inédits le brouillon d’une introduction au 1er mémoire sur l’Habitude. Ici Biran précise son attitude et ses divergences avec les opinions des philosophes contemporains. Et il n’est pas arrivé là sans procéder, d’une certaine manière, de l’école sensualiste idéologique. Il doit surtout à lui-même, mais Cabanis lui a révélé l’importance des sensations internes. Il y a de lui un brouillon de mémoire sur les signes ; là nous trouvons une charge contre l’Ecole idéologique et contre Cabanis ; peu de temps avant le mémoire sur l’Habitude. Il ne faut pas croire que Maine de Biran passe sans réfléchir d’une idée à une autre. Il y a là un problème. En 1798, il écrit contre Cabanis, puis il est idéologue avec enthousiasme. Il explique à Tracy dans une lettre. comment il a adopté ses idées. Cette évolution aurait dû être marquée d’une manière plus précise. Il y a certainement toute une période dans laquelle