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acceptent du mécanisme traditionnel la partie solide, expérimentale, et ne s’opposent qu’à l’extension indue de ces explications à de nouveaux ordres de phénomènes pour laquelle elles ne suffisent pas. Tous croient aussi que la source de toute vérité est non pas dans des idées a priori, dans des créations de l’esprit, mais exclusivement dans l’expérience. « Objectif égale : ce qui est donné par l’expérience perceptible et qui résiste à toute tentative pour le faire apparaître à nos sens autrement qu’il a apparu une première fois. » Les physiciens diffèrent seulement sur des points, qui, pour importants, ne sont cependant que secondaires : la valeur et l’usage des hypothèses figuratives et physiques, et, en particulier, la valeur de la représentation de mouvement. Ce qui ne les empêche pas de se trouver d’accord sur les résultats de leur science et de croire au progrès incessant de cette science, et à sa marche vers l’unité. Le livre de M. Rey s’achève par des considérations épistémologiques, par des indications un peu générales sur les grands traits de son positivisme et sur une théorie positive et volutive des catégories de l’esprit humain.

Cet ouvrage, d’inspiration très saine, présente donc un réel intérêt philosophique, puisqu’il examine une des questions les plus débattues actuellement ; il est, en outre, appelé à rendre de grands services aux étudiants, puisque c’est, croyons-nous, le seul ouvrage français où l’on puisse trouver un exposé intelligent, un peu trop systématisé peut-être, des principales théories physiques actuelles.

Le Mensonge de l’Art, par Fr. Paulhan. 1 vol in-8o de 380 p., Paris, Alcan, 1907. — Ce livre, c’est de la critique d’art relevée d’un grain de philosophie. Laissons les détails et la forme : tout le monde se fait une idée suffisante de ce que peut être une conférence publique sur l’art, quand elle est bien faite ; l’auteur parle bien, aiguise le trait comme il faut, et fait preuve de goût et de culture. Voici l’idée directrice. L’origine de l’art est dans cette rêverie agréable, volontairement poursuivie, qui substitue au monde réel un monde fictif conforme à nos désirs. L’art n’est donc pas, pour M. Paulhan, un produit de l’activité sociale, c’est-à-dire quelque image des opinions utiles à l’existence commune ; tout au contraire, l’artiste est un homme qui se retire du monde de la nature et du monde des hommes, et qui vit et pense pour lui-même. Seulement il est inévitable que, dans certains cas, ce rêve provoque des mouvements et enfin des actions qui le soutiennent et lui donnent un corps ; c’est par là que l’art rentre dans le réel et dans la vie sociale : l’art devient une chose parmi les choses, et une espèce d’institution humaine ; il subit alors la loi commune ; il se soumet à des règles et à des traditions ; les conventions le compliquent jusqu’à dissimuler sa véritable origine ; il devient religieux ; il se mêle aux travaux utiles ; cela ne veut pourtant pas dire qu’il soit sorti de la religion ou de l’industrie. Encore aujourd’hui l’œuvre d’art, monument, statue, tableau, affiche, n’est vraiment telle que par « l’attitude artiste » de celui qui la considère ; et cette attitude consiste à prendre l’œuvre d’art comme objet de rêverie, et pour l’effet harmonieux et reposant qu’elle produit dans l’âme.

Ces vues intéressantes ne sont pas d’accord, comme on voit, avec celles que les travaux des sociologues ont mises à la mode ; et cela leur donne presque un air de paradoxe, toutefois sans profondeur. Aussi bien, puisque l’auteur n’a évidemment pas visé à être profond, cette constatation n’est pas un reproche.

Le Sens de l’Art, par P. Gaultier (avec préface de M. Émile Boutroux. 1 vol. in-16 de 269 p.; Paris, Hachette, 1907. — Ce livre n’est pas seulement un essai pour dégager la conception de l’art impliquée dans le Bergsonisme, comme M. Le Roy et M. Bergson lui-même en ont dégagé une conception de la science. M. P. Gaultier ne prononce le nom de M. Bergson que dans son avant-propos ; et, si l’on sent bien quand même que l’influence bergsonienne est partout présente, elle ne l’est vraiment que comme l’un des éléments principaux de la conscience esthétique contemporaine, que M. Paul Gaultier a exprimée tout entière, dans son fonds et dans ses nuances. Aussi bien le

bergsonisme ne fait-il ainsi que rendre à l’esthétique ce qu’il doit au sens de l’art. Il semble que, sous l’action de multiples influences, la conscience esthétique contemporaine soit parvenue à débarrasser la vision intuitive de la beauté de tous les préjugés utilitaires, intellectualistes et moraux qui en ont, aux époques antérieures, gâté la pureté. Le livre de M. Paul Gaultier enregistre et fixe ces progrès.

Il se compose de cinq chapitres : 1° qu’est-ce que l’art ? 2° ce qu’enseigne une œuvre d’art ; 3° la moralité de l’art ; 4° le rôle social de l’art ; 5° la critique d’art, suivis d’une bonne bibliographie, et accompagnes de reproductions qui, pour laisser parfois à désirer, n’en rem-