Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/74

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tique philosophique (politique, scientifique, littéraire), et qui est le privilège des systèmes solidement construits et savamment organisés.

C’est par des qualités toutes différentes que se distingue l’article de M. Dauriac sur le Positivisme en psychologie « à propos » des Principes de Psychologie de M. James (p. 209-252), On sait quel écrivain spirituel et quel remueur d’idées est M. Dauriac ; il a donné carrière à son « imagination métaphysique » (cf. p. 247, et note) dans cette brillante improvisation, où l’argumentation du criticiste s’appuie sur des métaphores ingénieuses et s’égaie de boutades piquantes. Des esprits pointilleux regretteront peut-être de n’y pas trouver assez d’indications positives sur les idées de M. W. James, et ils s’étonneront que l’auteur n’ait pas pris soin de mieux définir ce qu’il entend lui-même par positivisme, ce qui laisse planer une certaine obscurité sur ses conclusions. Mais il faut prendre cette critique pleine de verve et d’humour pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour la plus amusante des « chroniques » philosophiques. Il est naturel qu’un feu d’artifice qui nous a éblouis laisse après lui que des ténèbres et de la fumée.

Nous retrouvons l’esprit lucide et pénétrant de M. Pillon dans l’article sur l’évolution historique de l’atomisme (p. 67-208), qui se divise en deux parties. La première, consacrée à l’atomisme envisagé comme hypothèse de cosmologie, montre que cette théorie physique peut s’associer, et même servir d’argument, au spiritualisme théiste et créationniste, car elle repose, comme ce système métaphysique, sur l’impossibilité d’un infini actuellement réalisé. On y voit successivement les atomes corporels de Gassendi, de Cudworth et de Cordemoy triompher avec Newton de la physique infinitiste de Descartes, fondée sur l’hypothèse du plein et du continu ; puis ils se raffinent sous l’influence de la critique à laquelle Locke a soumis l’idée d’espace, dont Leibniz avait montré la relativité ; ils perdent alors l’étendue, incompatible avec leur indivisibilité, et par suite la solidité, devenue inutile pour expliquer le fait de l’impénétrabilité ; ils se réduisent enfin à des points mathématiques, et deviennent les centres de force de Boscovich et de la physique moderne. La seconde partie traite de l’atomisme envisagé comme un système métaphysique, qui exclut le spiritualisme, au moins à l’origine. Les atomes inertes de Démocrite, soumis aux lois purement mécaniques du choc, ont reçu d’Épicure deux principes internes de mouvement : la pesanteur, pour éviter le progrès à l’infini, et le clinamen, pour échapper au déterminisme ; puis, Locke ayant établi la compatibilité de la matière et de la pensée, ils acquirent la sensibilité, l’intelligence et l’activité dans l’atomisme vitaliste et psychique de Maupertuis, de Charles Lemaire et de Mme Clémence Royer. Ainsi la double évolution de l’atomisme scientifique et de l’atomisme métaphysique aboutit à spiritualiser les atomes de deux manières, en les dépouillant de l’étendue et de la figure, qui semblaient en être les caractères essentiels, et en les enrichissant de qualités dynamiques et psychiques qui paraissaient appartenir en propre aux substances spirituelles. « Il suffit de réunir les deux progrès pour passer… de l’atomisme au monadisme. Le monadisme, c’est l’atomisme approfondi, transformé par sa double évolution » (p. 191). Telle est la conclusion de cette étude historique ; elle suffit à en faire deviner l’impor-