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IIme CONGRÈS DE PHILOSOPHIE — GENÈVE

bien connues, mais trop rarement expliquées, sont fondamentales. Si l’on peut arriver à ruiner la distinction de l’essence et de l’existence, il est évident que les thèses suivantes n’ont plus aucun sens.

M. Ivanowski a présenté brièvement à M. Chartier, plusieurs objections dont la principale portait, justement, contre une distinction radicale entre l’essence et l’existence. Les essences sont des idées générales obtenues, comme toutes les autres, par voie d’induction ; elles sont seulement plus simples que les autres.

M. Chartier a expliqué sur un exemple la différence qu’il y a entre suivre la Raison et suivre la coutume. Lorsqu’il s’agit de trouver un quatrième proportionnel à trois nombres donnés, la connaissance rationnelle de la solution est toujours la connaissance d’une quantité déterminée ; cette connaissance n’est d’ailleurs aisée à former que pour les nombres simples, et c’est toujours par là qu’il faut commencer ; seulement, tant qu’il y a vraiment usage de la Raison, il n’y a rien, dans une telle connaissance, qui ressemble à une généralisation ; chaque problème nouveau reçoit une solution tirée de l’analyse des données, et enfin de la considération des simples puis des complexes formés avec les simples. Il y a généralisation lorsque, fatigués de chercher toujours des solutions, et remarquant entre elles des ressemblances, nous nous abandonnons à la coutume, ou, si l’on veut, au sommeil.

Que si l’on se propose, sans entrer ainsi dans le détail des exemples, d’expliquer par la coutume les formes de l’espace et du temps il arrive inévitablement que l’on suppose ce qui est en question. C’est dans l’espace que l’on se représente l’union des éléments, quels qu’ils soient, qui doivent former l’espace ; c’est dans le temps que l’on énumère, dans un ordre convenable, les expériences qui doivent former, par leur accumulation, l’idée de temps ; de même on cherche la cause de la cause, ou la loi qui explique la formation de l’idée de loi. Ce que Kant appelle notion à priori, que ce soit une forme ou un concept, c’est une notion telle qu’on ne peut l’expliquer, de quelque façon que ce soit, sans se servir d’elle. Et, justement à cause de cela, les déductions qui conduisent à de telles notions, comme aussi les inductions d’où on les fait sortir, sont, si l’on peut ainsi parler, condamnées à réussir ; et c’est pour cela qu’elles n’expliquent rien. C’est en ce sens qu’il faut entendre que la connaissance rationnelle se distingue de la connaissance par coutume.