Page:Revue de métaphysique et de morale - 12.djvu/1036

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1024
revue de métaphysique et de morale.

produit d’évolution sociale. C’est un moyen dont se sert la société pour obtenir l’obéissance aux lois. Il termine en disant que du point de vue social la liberté est une nécessité absolue, mais que du point de vue de la science elle est absurde. M. Strong n’est pas de cet avis, quoique déterministe, il croit que la liberté est un fait, et que c’est le devoir du déterminisme de reconnaître et d’analyser ce fait. Voici l’analyse qui lui parait être la vraie. 1o Pour être libre, il faut l’être de quelque chose. De quoi donc sommes-nous libres ? Nous sommes libres de la nécessité d’exécuter une certaine action à laquelle nous pensons. L’opposé de la liberté, c’est l’entraînement irrésistible vers une action, comme chez l’ivrogne qui ne peut pas passer près d’un cabaret sans y entrer. 2o Qu’est-ce qui nous rend libres de cette nécessité ? On dit : un pouvoir absolu de l’âme. M. Strong croit qu’il n’en est rien. C’est le fait que nous pensons en même temps à une autre action (ou à une autre possibilité) qui est inconciliable avec la première. Ces deux pensées d’action se balancent, elles se neutralisent, et en ce faisant chacune nous rend libre à l’égard de l’autre. Sa liberté est done un phénomène d’inhibition. C’est un état d’équilibre mental qui permet aux motifs les moins grossiers, aux considérations d’ordre social, d’influer sur notre conduite. Cet état et la liberté qu’il nous donne, sont parfaitement réels ; ce sont des faits psychologiques indéniables. Il vaut beaucoup mieux, semble-t-il, baser la responsabilité sociale sur un fait, que sur quelque chose qui n’est qu’une illusion.

M. Rauh répond que la liberté est un fait, sans doute, mais que ce fait est une croyance. Dire que la liberté est un fait d’institution, ou un état d’équilibre, c’est la nier ; car c’est la traiter comme une chose.

M. Millioud, de Lausanne, distingue dans l’exposé de M. Rauh la question de fait et la question de méthode. Sur le premier point il prie M. Rauh de dire s’il entend conclure de la croyance à la liberté à la liberté elle-même, comme certains passages de sa communication le feraient supposer. Auquel cas nous reviendrons par un détour au pseudo-problème, à la fausse question si longtemps et si vainement agitée.

Touchant la question de méthode, M. Millioud juge insuffisante, dans l’étude du problème posé par M. Rauh, la méthode de l’introspection dont M. Rauh a d’ailleurs tiré tout ce qu’elle pouvait rendre ; sans parler physiologie il faudrait à tout le moins faire appel à l’histoire et à la philologie, et d’autre part, établir la série des cas du simple au complexe, et d’un extrême à l’autre, selon le procédé de M. Ribot.