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revue de métaphysique et de morale.

nous lisons dans notre corps l’univers tout entier, cela doit s’entendre au point de vue du physicien, qui à la rigueur pourrait dire cela dans le corps d’un autre ; mais ce qu’il y lirait serait une abstraction, non sa représentation à lui. Au point de vue de sa représentation à lui, ce n’est pas dans son corps propre qu’il se représente l’univers, c’est au contraire dans l’univers qu’il se représente son propre corps. Il pense un univers et lui-même dedans. De même il ne connaît pas son corps dans son cerveau, mais son cerveau dans son corps[1]. Et il faut bien une différence entre la contraction d’un muscle et un évènement cérébral, puisque je distingue l’un de l’autre. Qu’ils soient liés, dans un corps vivant que j’étudie, c’est une hypothèse physique ; qu’ils sortent équivalents c’est ce qui est déjà difficile à comprendre, quelque simplification que l’on apporte au problème ; que, d’autre part, l’évènement cérébral, comme objet pensé, soit lié à tout le corps et à tout l’univers comme objets pensés, cela est encore concevable. Mais que tout l’univers, comme pensée, corresponde au cerveau comme chose dans la nature, voilà qui n’est pas facile à entendre. Aussi ne voit-on pas bien comment la formule du parallélisme pourrait être corrigée ou atténuée, ainsi que M. Bergson a lui-même paru vouloir le faire. Si cette formule est absurde, on ne peut pas dire qu’elle soit incomplète ; on ne peut pas la considérer même comme un hypothèse provisoire ; à vrai dire, on ne peut plus la considérer du tout. Si on voulait bien ne pas oublier que les prétendus faits internes enferment toujours pour le sujet pensant la représentation plus ou moins confuse de tout l’univers, on ne tomberait point dans des difficultés de ce genre. Mais aussi la psychologie se confondrait avec une critique de la connaissance.

Des travaux et des discussions qui ont été ci-dessus résumés, le lecteur tirera assurément beaucoup de conclusions que je n’essaierai pas de prévoir, mais notamment celle-ci : c’est qu’il s’agit présentement, pour les philosophes, de définir leurs recherches en les distinguant de celles des psychologues. À vrai dire dès qu’il y a eu des psychologues, dès que le monde des pensées a été considéré par quelques-uns comme un monde donné, que l’on pouvait décrire et expliquer à peu près comme le physicien étudie le monde des choses,

  1. Jules Lagneau disait : « le corps est dans l’esprit ».