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E. CHARTIER. — Vers le positivisme absolu par l’idéalisme.

Et nous comprenons déjà qu’un fait réel ne peut prêter un appui à des idées, qu’autant qu’il à déjà été déterminé comme réel par des idées. Mais notre formule est encore abstraite. Examinons de plus près à quelles conditions un fail peut contredire une affirmation.

J’affirme que tous les cygnes sont blancs. Survient un cygne noir. Cette apparition va-t-elle par elle-même détruire mon affirmation ? Non. On peut même dire qu’elle ne la rencontrera pas, tant que je n’aurai pas affirmé que cet animal noir, qui survient, est un cygne ; et cela assurément n’est pas un fait. Cette remarque s’applique à toutes nos connaissances. Soit la proposition : la somme des angles d’un triangle égale deux droits. Une mesure expérimentale ne peut évidemment aller contre cette proposition, que si je pose que la figure réelle sur laquelle on a effectué la mesure est bien un triangle ; et si quelque chose me force à affirmer cela, ce nest pas la réalité de la figure en question, mais son rapport à des idées. Par là nous pouvons juger de la nature et de la portée de l’expérience, et en même temps de la nature et de la portée de que l’on appelle communément la logique ; car le principe de non-contradiction ne décide qu’autant que la nécessité synthétique, que l’auteur appelle « nécessité nécessitante », a d’abord rendu possible, en vertu d’une hypothèse, une contradiction dans les termes[1].

Et enfin, qu’est-ce qu’un fait, sinon un tissu d’idées ? C’est ici qu’apparaît l’importance de ce qui a été dit antérieurement, au sujet de l’expérience mathématique. Il y a une vérification continuelle de la mathématique par le fait, et il n’y a pas lieu d’en être étonné. « Lorsque l’algébriste essaie de vérifier une relation, son jugement est suspendu au résultat qu’il va obtenir et qu’il ignore, mais le fait lui-même du succès ou de l’échec de son essai est une conséquence de la contexture des idées mathématiques et des rapports qui les unissent[2]. » Mais alors l’existence du fait mathématique est liée à l’existence de la science mathématique même ; le fait résulte du progrès de la science, avant d’y concourir : « La mathématique ne se passe pas de l’expérience, telle est la thèse empiriste. Nous y adhérons, mais à la condition d’ajouter qu’il s’agit d’une certaine expérience qui, inversement, n’existerait pas sans la mathématique[3]. »

  1. P. 175, et, pour la théorie des deux nécessités, p. 356 et suivantes.
  2. P. 315.
  3. P. 259.