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E. CHARTIER. — Vers le positivisme absolu par l’idéalisme.

les idées. Une telle crise est essentiellement la science même : elle est sa durée même. Savoir plus et savoir mieux, ce n’est que savoir encore. Inversement ce qui ruine une théorie c’est qu’elle disparaît, tout à fait comme des organes s’atrophient. Qu’est-ce donc que le réel ? Ce n’est pas l’objet, qui est une abstraction, ni le sujet, qui est une autre abstraction. C’est le savoir vivant lui-même, qui crée à la fois le savant, et, autour du savant, le monde. C’est par le savoir que l’homme existe ; et c’est par le savoir que les faits existent, que le monde existe, je dis par le savoir en acte, par le savoir en devenir. Gar pour le savoir abstrait, immobile, mort, il n’est que vain bavardage : « la recherche du réel est le réel lui-même[1] ».

On comprend bien que ce livre, si pénétrant et si riche d’exemples qu’il soit, ne lève point toutes les difficultés. C’est ici le lieu de rappeler qu’une doctrine est vraie en ce qu’elle explique quelque chose, et fausse en ce qu’elle n’explique pas tout.

En ce qui concerne l’interprétation idéaliste de l’expérience, la thèse de M. Weber paraîtra plus solide à mesure qu’on l’examinera de plus près. Lagneau, par l’analyse d’exemples variés, la rendait familière à ses élèves ; mais surtout il la fondait sur une théorie de la perception. M. Weber s’est montré sur ce point trop timide. Il n’y a pas que le fait scientifique qui suppose un tissu d’idées. Le fait perçu lui-même, l’objet donné en apparence à nos sens, est déjà une hypothèse ; et la perception de points lumineux qui se meuvent est bien loin d’être « le fait pur, le fait en soi[2] ». Le fait pur, ce serait la sensation pure, que la réflexion ne peut jamais atteindre, et dont le souvenir ne garde et ne peut garder aucune trace. Que la terre tourne autour du soleil, ce fait scientifique est un système d’idées ; mais le soleil à deux cents pas est déjà un système d’idées, une hypothèse liée à d’autres hypothèses. On voit par ces remarques qu’on pourrait écrire encore un autre livre pour fortifier et expliquer la thèse de M. Weber.

Au sujet de l’autre thèse fondamentale, qui affirme sans réserve la dépendance des mathématiques par rapport à l’expérience,

  1. P. 328.
  2. P. 354.