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G. LANSON.L’HISTOIRE LITTÉRAIRE ET LA SOCIOLOGIE.

ma réflexion, en s’approfondissani, me fait apercevoir ce que je ne remarquais pas d’abord, l’étroite connexion du point de vue sociologique et de l’histoire littéraire. Je découvre alors que dans la critique des faits, des textes et des témoignages, dans la description et la classification des personnalités littéraires, on ne saurait éviter, et il serait mauvais de vouloir éviter le point de vue sociologique.

En fait, dès qu’on sort du dogmatisme absolu ou du pur impressionnisme, une philosophie de la littérature est forcément un essai de sociologie littéraire. Toute généralisation qui n’est point a priori est nécessairement sociologique. Mme de Staël mettant en rapport la littérature et les institutions, Villemain faisant de la littérature l’expression de la société, Taine déterminant l’œuvre littéraire historiquement par les trois facteurs race, milieu, moment, ou la classant esthétiquement par le degré de bienfaisance, M. Brunetière dessinant l’évolution des genres et regardant leurs transformations, M. Bourget allant chercher dans l’œuvre de quelques maîtres les éléments de la conscience de ses contemporains, etc. : qu’est-ce que tout cela, sinon autant d’efforts pour démêler soit ce qui coule du milieu dans l’œuvre, ce que la vie ancestrale ou actuelle y introduit, soit ce qui coule de l’œuvre dans le milieu, ce qu’elle introduit dans la vie actuelle ou ultérieure ? Qu’est-ce donc, sinon autant d’essais pour passer de l’individuel au collectif, et pour convertir la valeur personnelle en valeur sociale ?

Beaucoup diront : « Nous avons assez souffert de ces philosophies de la littérature et de ces doctrinaires. Il suffit justement de les alléguer pour faire éclater le besoin que l’histoire critique et inductive a de se séparer de la sociologie. »

Je dirais plutôt : « Cela prouve l’impossibilité de faire de l’histoire littéraire sans sociologie. Soyons injustes pour un moment : négligeons tout ce que quelques-uns des critiques que j’ai nommés ont fait de bon labeur historique. Ne regardons que leurs vues systématiques, leurs généralisations hâtives, leurs témérités constructives, leurs illusions d’avoir trouvé la loi des lois, la clef qui ouvre toutes les serrures. Par cela même, par ces parties caduques de leurs œuvres, ils n’ont pas été inutiles, ils ont excité les esprits, ils ont posé des problèmes, ils ont taillé de la besogne à des générations qui ont vécu des vérifications à faire sur leurs hypothèses : la science a profité de tout cela. Oublions-le encore : le progrès ne se peut faire sans quelques ingratitudes. Mais comprenons bien que les Villemain, les Taine, etc,.