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H. POINCARÉ.COURNOT ET LE CALCUL INFINITÉSIMAL.

Seulement nous admettons que cette imprécision n’appartient qu’aux sensations elles-mêmes, que leur cause inconnue est susceptible d’être exactement représentée par un nombre ; cette même cause peut se manifester par d’autres effets, ce qui nous fournit d’autres moyens plus délicats d’évaluer ce nombre, de façon à réduire de plus en plus la marge de l’incertitude. Nous pouvons, par exemple, au lieu de soupeser le poids avec la main, le mesurer à l’aide d’une balance de précision. Mais quelle que soit la série d’opérations à laquelle nous procédions, il faudra bien que finalement nous fassions intervenir nos sens, ce qui ramènera les caractères de la continuité physique et son imprécision essentielle.

Nous voyons qu’à mesure que se perfectionnent nos moyens d’observation, les limites entre lesquelles doit rester compris le nombre représentatif d’un phénomène naturel quelconque, deviennent de plus en plus étroites, mais il n’arrivera jamais que le jeu de plus en plus petit qu’elles laissent entre elles devienne rigoureusement nul. Nous croyons toutefois que ce progrès n’aura pas de limite, que nous ne pourrons jamais dire, par exemple : un poids ne pourra jamais être évalué à moins d’un millième ou d’un millionième de milligramme près. C’est là le postulat que nous admettons implicitement quand nous appliquons à la nature les lois de l’analyse mathématique et en particulier celles du calcul infinitésimal.

Avant de dire ce que Cournot pense de ce problème, je crois utile d’en préciser un peu mieux encore la portée. Suivant que l’on adoptera ou non ce postulat, la notion de loi se présentera sous une forme toute différente. Dans la conception scientifique l’état du monde, ou d’une partie du monde regardée comme isolée, sera entièrement défini par les valeurs attribuées à un certain nombre de variables , ,…, . La connaissance de ces valeurs nous donnera non seulement l’état du monde à l’instant envisagé, à l’instant , mais encore à l’instant immédiatement postérieur , car ces deux états sont immédiatement reliés l’un à l’autre par une relation qui est précisément ce que l’on appelle loi, et cette relation est une équation différentielle :

Nous postulons encore quelque chose de plus, à savoir que ces fonctions , qui servent à l’expression de cette loi jouissent de toutes