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revue de métaphysique et de morale.

M. Peano, mais en le corrigeant aussitôt : « un système de pasigraphie, ou mieux d’idéographie[1] » : cela veut dire que les symboles traduisent, non pas des mots ni des phrases, mais directement des idées. Je concluais le même article en disant : « l’on restreindrait injustement la valeur du symbolisme de M. Peano, si l’on n’y voyait qu’une sorte de sténographie. C’est aussi et surtout un instrument d’analyse logique, de déduction et de vérification » ; et je rappelais a ce propos la Caractéristique universelle de Leibniz. C’est donc méconnaître entièrement la nature et la portée de la Logistique que de n’y voir qu’une pasigraphie.

En général, du reste, M. Poincaré parle de la Logistique sur le ton dont un bel esprit pourrait parler de l’Algèbre ou des mathématiques en général. Il dit par exemple : « L’élément essentiel de ce langage, ce sont certains signes algébriques qui représentent les différentes conjonctions : si, et, ou, donc. Que ces signes soient commodes, c’est possible ; mais qu’ils soient destinés à renouveler toute la philosophie, c’est une autre affaire. Il est difficile d’admettre que le mot si acquiert, quand on l’écrit ͻ, une vertu qu’il n’avait pas quand on l’écrivait si » p. 822). D’abord, il ne faut pas croire que les symboles logistiques se bornent à traduire littéralement quelques mots[2] : le signe ͻ ne traduit pas plus si que donc, il exprime l’idée d’implication ; le même signe, ͻ, peut traduire et dans certains cas, et ou dans d’autres cas. Inversement, le mot et n’a pas le même sens dans les trois phrases suivantes : « Pierre est riche et heureux », « Pierre et Paul sont riches », « Pierre et Paul sont frères », et par suite il ne se traduira pas par le même symbole logistique. Il est donc tout a fait injuste de considérer « le nouveau langage » comme un simple décalque du langage vulgaire, et par suite comme n’ayant aucune valeur propre et aucune utilité[3].

  1. Bulletin des Sciences mathématiques, t. XXV (1901).
  2. Comme les notations enfantines d’Hérigone, qui écrivait par exemple pour pentagone, ou comme n’importe quel système d’abréviations analogues qu’un étudiant en mathématiques peut inventer pour prendre des notes.
  3. Dès 1895 M. Peano écrivait ceci : « La Logique mathématique… ne se réduit pas simplement à une écriture symbolique abrégée, à une espèce de tachygraphie ; elle permet d’étudier les lois de ces signes et les transformations des propositions…. Les deux objets de la Logique mathématique, la formation d’une écriture symbolique, et l’étude des formes de transformations ou de raisonnement, sont étroitement liés » (Sur la définition de la limite d’une fonction, dans American Journal of Mathematics, t. XVII). Ce mémoire était destiné (comme le prouve son sous-titre : Exercice de logique mathématique) à faire connaître la nouvelle Logique aux mathématiciens. Ceux-ci seraient donc inexcusables de et doublement inexcusables de la critiquer sans la connaître.