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L. COUTURAT.Pour la Logistique.

M. Poincaré croit que j’attache a l’emploi des symboles « une importance exagérée, et qui a dû étonner M. Peano lui-même » (p. 822). Je puis le rassurer sur ce point : M. Peano m’écrit à ce propos : « J’ai toujours affirmé l’importance de la notation symbolique dans toute proposition de mathématique, sa grande utilité dans les questions difficiles et délicates, et qu’elle est indispensable dans l’étude des principes. Cela est écrit dans tous les tomes du Formulaire…. » Partout et toujours, il insiste sur la nécessité d’exprimer entièrement en symboles toute proposition mathématique et toute définition [1].

Quoi qu’il en soit, il y a quelqu’un qui avait de l’importance du symbolisme une opinion aussi « exagérée » que M. Peano et que moi : c’est Leibniz ; il allait jusqu’à dire que les découvertes qu’il avait faites en mathématiques venaient uniquement de ce qu’il avait perfectionné l’emploi des symboles, et son invention du Calcul infinitésimal n’était pour lui qu’un échantillon de sa Caractéristique[2]. Et en effet, on sait qu’il n’a pas inventé les idées infinitésimales ; il a seulement inventé un symbolisme pour les représenter et un algorithme pour les manipuler. On pourrait dire de lui : « Il n’a fait qu’introduire deux signes nouveaux, et . Que ces signes soient commodes, c’est possible ; mais qu’ils aient pu renouveler toute la mathématique, c’est incroyable.  »

On pourrait dire aussi de l’Algèbre : « Elle consiste simplement à représenter par des signes les mots plus, moins, multiplié par, divisé par. Mais on ne voit pas en quoi elle constitue un progrès sur l’Arithmétique ; il est difficile d’admettre que le mot plus acquière, quand on l’écrit , une vertu qu’il n’avait pas quand on l’écrivait plus. » Et pourtant, est-ce avec des mots qu’on aurait pu élaborer la théorie des équations et celle des formes algébriques ?

M. Poincaré allègue encore que « la pasigraphie ne nous préserve pas de l’erreur » (p. 825). Sans doute, pas plus que les règles du calcul algébrique ou arithmétique ne nous en préservent. S’ensuit-il qu’elles soient fausses, ou qu’on doive s’en défier ? De ce que l’on commet des erreurs d’addition, faut-il condamner les « quatre règles » et même les chiffres, et ne plus compter que sur ses doigts ou avec des boules ? Les erreurs de raisonnement qu’un logisticien

  1. Cf. son mémoire au 1er congrès international de Philosophie (Paris, 1900).
  2. V . La Logique de Leibniz, p. 84-85, avec les textes cités en note ; et l’Appendice III.