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SULLY PRUDHOMME. psychologie du libre arbitre.

impressionné. Toutes les sciences qui relèvent de l’observation externe et qui ont pour objet le monde matériel extérieur au moi, toutes ces sciences dites naturelles progressent en éliminant de plus en plus ce qu’il y a de purement sensible, d’exclusivement propre au moi, en un mot de subjectif dans les perceptions qui sont leurs données empiriques.

Une sensation d’espèce quelconque est susceptible de se répéter et de s’ajouter à une ou plusieurs sensations de même espèce ou d’espèce différente dans le champ de la mémoire ; en outre plurieurs sensations visuelles peuvent s’associer simultanément dans le champ visuel et plusieurs sensations tactiles dans le champ tactile. De là naissent dans le moi des rapports de succession et de position qui sont des représentations expressives de rapports chroniques et spatiaux entre choses extérieures au moi. Les premiers groupent les sensations en perceptions complexes qui représentent des synthèses extérieures au moi. Or chacune de celles-ci est en réalité une composition de forces mécaniques et forme soit ce qu’on appelle un corps dans l’espace, soit un processus d’événement dans le temps, et toutes ces synthèses communiquent entre elles mécaniquement, de sorte que l’univers matériel constitue, un seul système mécanique représenté dans l’esprit humain par un système correspondant d’idées objectives. Tel est du moins le but que rêvent d’atteindre les savants par la fusion progressive des sciences particulières en une seule ; idéal encore lointain mais dont ils se rapprochent lentement sans relâche.

IV

La conscience est seule apte à discerner ce qui distingue le moi du non-moi. Mais elle est impuissante à se prononcer sur la nature intime, sur l’être d’aucun des deux. D’abord par elle le sujet ne peut atteindre son propre être, autrement dit son substratum, il n’en aperçoit que les modifications et n’en connaît l’existence que par celles-ci. En effet, s’il est vrai que l’idée est une représentation expressive de l’objet, pour que le sujet pût se former une idée de son substratum, de son propre être, il faudrait que cette idée exprimât ce dernier, c’est-à-dire quelle impliquât les caractères intrinsèques constitutifs de l’être, en un mot qu’elle s’identifiât à l’être, de sorte que, en réalité, le sujet contiendrait simultanément deux exemplaires de l’être, dont l’un serait lui-même en tant qu’objet