Page:Revue de métaphysique et de morale - 2.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
F. RAVAISSON.de l’habitude.

nature constante au milieu du changement. Sans doute, tout ce qui change est dans la nature, comme tout ce qui est est dans l’être. Mais seul, l’être vivant est une nature distincte, comme seul il est un être. C’est donc dans le principe de la vie que consiste proprement la nature comme l’être.

Le règne inorganique peut donc être considéré, en ce sens, comme l’empire du Destin, le règne organique comme l’empire de la Nature.

Ainsi l’habitude ne peut commencer que là où commence la nature elle-même.

Or, dès le premier degré de la vie, il semble que la continuité ou la répétition d’un changement modifie, à l’égard de ce changement même, la disposition de l’être, et que, par cet endroit, elle modifie la nature.

La vie est supérieure à l’existence inorganique ; mais par cela même elle la suppose comme sa condition. La forme la plus simple de l’être, en est nécessairement aussi la plus générale ; elle est par conséquent la condition de toute autre forme. L’organisation a donc dans le monde inorganique la matière à laquelle elle donne la forme. La synthèse hétérogène de l’organisme se résout, en dernière analyse, en des principes homogènes, et par conséquent inorganiques. La vie n’est donc pas, dans le monde extérieur, un monde isolé et indépendant ; elle y est enchaînée par ses conditions, et assujettie à ses lois générales. Elle subit sans cesse l’influence du dehors : seulement elle la surmonte et elle en triomphe sans cesse. Ainsi elle reçoit le changement par son rapport avec sa forme inférieure d’existence, qui est sa condition, ou sa matière ; elle commence le changement, à ce qu’il semble, par la vertu supérieure qui est sa nature même. La vie implique l’opposition de la réceptivité et de la spontanéité.

Or, l’effet général de la continuité et de la répétition du changement que l’être vivant reçoit d’ailleurs que de lui-même, c’est que, si ce changement ne va pas jusqu’à le détruire, il en est toujours de moins en moins altéré. Au contraire, plus l’être vivant a répété ou prolongé un changement qui a son origine en lui, plus encore il le reproduit et semble tendre à le reproduire. Le changement qui lui est venu du dehors lui devient donc de plus en plus étranger ; le changement qui lui est venu de lui-même lui devient de plus en plus propre.