Page:Revue de métaphysique et de morale - 2.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

prenait pas de repos avant d’avoir produit par la combinaison d’éléments simples suivant des lois simples tous les phénoménes qui accompagnent les orages ; que lorsqu’il disait que sa théorie était incomplète, il ne voulait point dire qu’il s’y glissât quelque idée confuse ou quelque raisonnement peu rigoureux, mais seulement que, dans l’orage qu’il avait construit, l’éclair en boule, par exemple, ne se produisait pas, tandis qu’il se produisait dans la nature. Que, de nouveau, pour expliquer l’éclair en boule, le physicien cherchait quelque loi simple et claire qui, combinée avec les autres, pût l’amener à construire un tel éclair. De même, ajoutait mon ami, que le géométre construit avec des lignes droites des figures de plus en plus complexes mais qu’il connait toujours avec une entiére certitude, de même le savant va construisant, avec des éléments simples et des lois qu’il démontre avec autant de rigueur que le géomêtre démontre ses théorémes, des phénoménes aussi complexes que possible, et approchant autant que possible de la complexité du phénoméne réel, sans jamais y atteindre.

ariste. — Mais le savant a dit d’abord observer les faits.

eudoxe. — Je vous dis ce que me disait mon ami ; il disait aussi que la connaissance des qualités des choses, que nous prenons dans la perception, enseignait au physicien cet ordre même, du simple au complexe, comme l’ordre vrai, attendu que notre connaissance naturelle des qualités des choses allait du général au particulier ; qu’ainsi la géométrie était le modèle de toutes les sciences, et qu’il n’y avait qu’une méthode, la déduction.

ariste. — Il me semble que votre ami négligeait un des aspects de la science en ne considérant que la déduction. Ma connaissance ne saurait partir du général ; je connais, non des choses générales, mais des êtres particuliers. Par exemple, je perçois une couleur particulière, puis une autre couleur particulière. Je désigne des couleurs qui se ressemblent par le même mot : bleu, et toutes celles qui me paraîtront se rapprocher de celles-là je les désignerai par ce mot : bleu ; un autre homme qui n’aura pas vu un bleu se rapprochant du nouveau bleu qu’il voit, et qui a accoutumé d’appeler vert une couleur presque identique à cette nouvelle couleur, appellera vert ce que j’appelle bleu, tant il est vrai que la nature de nos idées dépend des expériences que nous avons pu faire.

eudoxe. — Moi-même en songeant aux couleurs je m’étais fait ces réflexions, et j’avoue qu’elles réduisent à néant tout ce que me disait