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F. RAVAISSON.de l’habitude.

l’activité motrice a sa mesure dans l’effort, c’est dans la conscience de l’effort que se manifeste nécessairement à elle-même, sous la forme éminente de l’activité volontaire, la personnalité[1].

L’effort enveloppe deux éléments, l’action et la passion. La passion est la manière d’être qui a sa cause immédiate en quelque chose de différent de l’être auquel elle appartient. L’action est la manière d’être dont l’être à qui elle appartient est à soi-même la cause immédiate. La passion et l’action sont donc contraires l’une à l’autre ; et l’assemblage de ces contraires contient toutes les formes possibles de l’existence. L’effort n’est donc pas seulement la condition première, mais aussi le type complet et l’abrégé de la conscience.

L’action est la condition immédiate de la distinction du sujet et de l’objet de la connaissance ; c’est donc la condition de la connaissance distincte. La passion, contraire de l’action, est donc incompatible, par elle-même, avec la connaissance et la conscience distincte. Elle ne peut être que la matière d’une connaissance confuse, à peine distinguée et de l’objet et du sujet de la connaissance même. À l’action est étroitement liée la perception claire ; la passion n’est dans la conscience que l’obscure sensation. Dans toute l’étendue de la conscience, la perception et la sensation sont donc en sens et en raison inverse, comme l’action et la passion qu’elles représentent ; c’est une loi nécessaire[2]

L’effort est en quelque sorte le lieu d’équilibre où l’action et la passion, et par conséquent la perception et la sensation, se balancent l’une l’autre. C’est la limite commune de ces contraires, le moyen terme où se touchent ces extrêmes.

L’effort s’accomplit dans le tact. Le tact s’étend de l’extrémité de la passion à celle de l’action. Il en comprend dans son développement tous les degrés intermédiaires ; il en vérifie, à tous ces degrés, la loi de réciprocité.

Tant que les organes du tact sont hors de la sphère du mouvement volontaire, la sensation y règne seule. Elle y règne d’abord sous la forme presque exclusive de l’affection, du plaisir ou de la douleur. Le sujet qui l’éprouve s’en distingue à peine. Tout en est concentré

  1. M. de Biran, passim. Sur l’idée de l’effort comme source première de la connaissance ; cf. Rey Regis, Histoire naturelle de l’âme.
  2. M. de Biran, Infl. de l’habit., p. 17 et suiv.