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plus involontaires de notre vie, celles de la nutrition, par exemple, ne sont pas des habitudes anciennes[1], transformées en instincts. Non seulement nous ne voyons pas qu’elles aient jamais dépendu de notre volonté, mais jamais elles n’en ont pu dépendre ; elles se composent de mouvements insensibles et d’altérations organiques qui sont hors de la sphère de l’imagination et de l’entendement. Mais l’habitude amène au même point les mouvements volontaires, et les transforme en des instincts. La dégradation de la volonté et de la conscience dans la série graduée des fonctions vitales, ne doit donc être aussi que le signe de la disparition graduelle des conditions de l’entendement et de la volonté réflexive, dans l’identité d’une même âme[2].

Il en est de même dans la série des règnes, des genres, des espèces.

La forme la plus élémentaire de l’existence, avec l’organisation la plus parfaite, c’est comme le dernier moment de l’habitude, réalisé et substantifié dans l’espace sous une figure sensible. L’analogie de l’habitude en pénètre le secret et nous en livre le sens[3]. Jusque dans la vie confuse et multiple du zoophyte, jusque dans la plante, jusque dans le cristal même[4], on peut donc suivre, à cette lumière, les derniers rayons de la pensée et de l’activité, se dispersant et se dissolvant sans s’éteindre, mais loin de toute réflexion possible, dans les vagues désirs des plus obscurs instincts.

Toute la suite des êtres n’est donc que la progression continue des puissances successives d’un seul et même principe, qui s’envelop-

  1. Perrault, Des sens extérieurs (Œuvres, 1721, in-4) p. 547 : « Par l’attention qu’elle (l’âme) a donnée à toutes ces choses dans les premiers temps de la vie, elle a acquis une parfaite connaissance de toutes leurs propriétés, et, par le long usage qu’elle en a fait, elle se les est rendues tellement familières, qu’elle n’a plus besoin d’y employer que des pensées confuses et négligées. » Cf. p. 569.
  2. C’est là l’esprit et la lettre du stahlianisme, presque toujours mal connu et mal compris de ses adversaires, même du savant et profond Barthez. V. Stahl, passim, et principalement Negotium otiosum. — Scaliger, Exercit. exoter. adv. Card., p. 987 : « Anima sibi fabricat dentes, cornua, ad vitam tuendam ; iis utitur, et scit quo sit utendum modo, sine objecto aut phantasia ulla. »
  3. M. de Biran, loc. cit. p. 124 : « … Ne pourrait-on pas conjecturer que l’exercice répété des mêmes mouvements rend les parties mêmes plus mobiles, plus irritables, en les convertissant en foyers artificiels de forces, comme les organes vitaux, ou ceux des animaux à sang froid, en sont des foyers naturels ? »
  4. Herder, Idées sur la philos. de l’hist., I, 143 : « Le cristal se développe avec plus d’habileté et de régularité que n’en peut montrer l’abeille dans la construction de sa cellule, ou l’araignée dans le tissu de sa toile. Il n’y a dans la matière brute qu’un instinct aveugle, mais infaillible. »