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C’est la « géométrie des sensations de mouvement » que nous allons maintenant essayer de nous représenter.

Imaginons un être pouvant se mouvoir librement dans un milieu homogène et immobile, par exemple un poisson au sein d’un océan tranquille. Faisons correspondre à chacun de ses mouvements, compliqué ou simple, prolongé ou bref, rapide ou lent, une sensation totale distinctive[1]. Douons-le de mémoire et de raison, et demandons-nous s’il pourrait appliquer une géométrie à son expérience.

Si l’océan est vide, si notre poisson ne fait jamais aucune rencontre, n’arrive jamais nulle part, il est clair que ses pérégrinations ne pourront pas lui apprendre la géométrie. Mais plaçons quelque chose de discernable quelque part : supposons qu’une sensation distinctive E, un picotement d’électrisation par exemple, se fasse sentir lorsque le poisson occupe une certaine position, que nous appellerons la position zéro. Par une position il faut comprendre non seulement un lieu, mais aussi une forme prise par le corps du poisson et une orientation unique de cette forme. L’univers exploré reste encore presque entièrement vide ; l’expérience que nous imaginons ne contient qu’une seule sensation externe E, et pour une seule position dans l’océan. Cette pauvre expérience suffit-elle pour fonder une géométrie ? Je réponds que oui ; je vais tâcher de justifier mon affirmation.

Mettons-nous à la place du poisson et voyons ce qu’il pourrait observer.

Certaines sensations, toujours les mêmes, mettent fin à la sensation E ; d’autres la laissent persister, toujours les mêmes aussi. Nommons les premières des mouvements, les secondes des repos (définitions 1 et 2)[2].

  1. L’expression « un mouvement » est naturellement prise ici de façon abstraite, dans le sens où deux mouvements partant de la même forme du corps et passant par les mêmes déformations avec la même vitesse sont « le même mouvement ». De même « une sensation » désigne ici bien entendu une qualité de sensation.
  2. L’expression « la sensation R laisse persister la sensation E » veut dire que lorsque R commence en présence de E, alors E reste présente pendant toute la durée de R, et non pas que R ne se produit qu’accompagnée de E.